LA VÉNUS À LA FOURRURE de Leopold von Sacher-Masoch (1870)
Ce chef-d’oeuvre à la longue descendance met en scène la jouissance sadomasochiste dans un écrin fascinant.
Etrange destin que celui de Leopold von SacherMasoch. Auteur au romantisme exacerbé, il composa une oeuvre variée qui fut si largement appréciée en son temps qu’elle lui valut le surnom de “Tourgueniev de la Petite-Russie” et que, parmi d’autres, Hugo, Zola et Ibsen en firent les louanges.
Mais, dès son vivant, il tombe dans l’oubli, et aujourd’hui encore, s’il se rappelle à nous, ce n’est qu’à travers une forme de sexualité à laquelle il a involontairement donné son nom
– le masochisme –, terme inventé par le psychiatre Krafft-Ebing pour désigner une perversion vieille comme le monde : la flagellation était pratiquée dès l’Antiquité, notamment lors de rites magico-sexuels, et la soumission absolue à une maîtresse insensible avait déjà conduit plus d’une âme romanesque à se délecter de son propre naufrage bien avant que Sacher-Masoch ne commence même à écrire.
Néanmoins, cette cristallisation du nom de Sacher-Masoch sur le rituel érotico-flagellatoire est justifiée par le magnifique écrin littéraire offert par le premier au second, La Vénus à la fourrure. Presque pas d’ébats ici. On fouette, on foule aux pieds, on emprisonne et on soumet, oui, mais les corps se dénudent peu et l’amour physique est toujours pudiquement voilé. Et pour cause : l’exultation ne doit naître que de la douleur, de la honte, de l’anéantissement de soi-même.
Séverin a fait la rencontre d’une jeune et belle veuve, Wanda von Dunajew. L’un cherche une idole à laquelle soumettre sa volonté, l’autre entend épuiser sa vitalité à la manière antique, en exerçant sa cruauté sur un esclave, le temps de chercher un maître capable de la dompter. Un pacte est passé. La nouvelle Vénus sera autorisée à punir toujours plus durement son adorateur. Elle sera toujours vêtue d’une fourrure, fétichisation symbolique de la toison pubienne, parure fauve et hypnotique qui caressera ses formes lisses et froides, de déesse immaculée mais la salira assez de désir pour la rendre “plus que nue”, selon le mot de Baudelaire.
Dans l’étouffante torpeur de leur huis clos pervers, et à mesure que les limites imposées par le contrat menacent d’être franchies, la dérive des deux amants rend leurs comportements et leurs sentiments de plus en plus énigmatiques, de plus en plus fascinants.