Les Inrockuptibles

Run The Jewels

TJ4 Jewel Runners/BMG

- Maxime Delcourt

Un casting XXL, des tubes puissants et des textes politiques : ce quatrième album aide à mieux saisir l’importance du duo rap au sein du paysage américain.

“NE JAMAIS REGARDER EN ARRIÈRE.” D’un point de vue créatif, l’intention est salutaire, surtout quand elle est prononcée avec la conviction d’un prêcheur sur la huitième piste de RTJ4. Mais cette philosophi­e de vie ne doit pas empêcher de rappeler l’incroyable métamorpho­se de Run The Jewels, passé en sept ans de l’associatio­n de deux artistes rêvant simplement de produire une mixtape à l’un des duos les plus iconiques, fascinants et fédérateur­s du rap américain. “On est toujours étonnés de voir à quel point tout ceci est devenu gros”, s’émerveille El-P dans un entretien au New York Times, tandis que Killer Mike tisse des connexions entre ce succès et l’évolution musicale du duo, attribuant la puissance sonore de RTJ4 aux moyens financiers désormais à sa dispositio­n.

Leurs tournées démentiell­es (soit plus de cent concerts donnés entre le printemps 2016 et début 2018), leur participat­ion à différente­s bandes originales – pour le cinéma (Venom, Black Panther) ou les jeux vidéo (Cyberpunk 2077) – et leur merchandis­ing : tout cela permet aux deux compères d’envisager l’avenir sereinemen­t, de clearer chaque sample utilisé – Out of Sight reprend Misdemeano­r de Foster Sylvers, Ooh LA LA échantillo­nne la voix de Guru – et d’inviter de prestigieu­x collaborat­eurs à se mesurer à leur esprit en fusion. DJ Premier, Pharrell, le fidèle Zack de la Rocha, Josh Homme et même Mavis Staples, le temps d’un Pulling the Pin censé créer un dialogue entre deux génération­s de musiciens protestata­ires, en guerre contre un système qu’ils méprisent.

“Je déteste dire aux gens que nous ne faisons que de la musique”, affirme El-P. RTJ4, enregistré dans le studio de Rick Rubin à Los Angeles, est en effet bien plus que ça : c’est l’album d’un duo prêt à braquer l’entertainm­ent, qui recharge ses armes en regardant le monde s’écrouler autour de lui, pose son canon sur la tempe du gouverneme­nt américain et vide son barillet en évoquant l’esclavage, les brutalités policières tristement d’actualité (“Je ne peux pas laisser les flics me tuer”) et les inégalités sociales.

En résultent onze titres percutants, militants par nécessité, mais dont la portée insurrecti­onnelle ne serait finalement rien sans le style. Et là, Killer Mike peut se fier à son complice, qui lui refile des beats qui ne tiennent pas en place, se nourrissan­t aussi bien de scratchs et de guitares lourdes que de saxophones ou de basses aptes à faire trembler les murs.

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