Les Inrockuptibles

Le Spectateur zéro de Yann Dedet avec Julien Suaudeau

P.O.L, 352 p., 22 €

- Marilou Duponchel

Le monteur Yann Dedet raconte son parcours dans un livre d’entretiens passionnan­t. “En revivant tout ça, j’ai souvent l’impression d’être encore en montage, que rien n’est fini”, confesse Yann Dedet dans les dernières pages du livre d’entretiens qu’il a réalisé avec Julien Suaudeau. Guidé par une mémoire intacte et volubile, rembobinan­t et agençant les moments d’une vie comme les plans d’un film, l’ouvrage est captivant. D’abord parce qu’il retrace l’itinéraire de l’un des monteurs les plus singuliers du cinéma français. Mais aussi parce que, à travers cet échange, ce sont les portraits des cinéastes qu’il a côtoyés qui s’esquissent dans un mélange d’anecdotes et d’expertises souvent très fines sur leur travail respectif. Dans cette profusion de récits, on retient l’extrême concentrat­ion de Claire Denis sur le montage de Nénette et Boni ; l’analyse très juste et émouvante du cinéma de Garrel, cinéaste-peintre dessinant chaque plan à la faveur d’“un trait de pinceau” ; ou encore cette longue évocation de François Truffaut, “homme pressé” dont Dedet évoque “le goût pudique de l’accélérate­ur” qui consiste à couper les silences pour éviter que la pensée ne se brise et que l’ennui ne gagne le spectateur. Enfin, il y a cette rencontre, non moins fameuse, avec Maurice Pialat, qui savait orchestrer ses apparition­s : “Dis donc, toi qui montes les films du petit gris (aka Truffaut – ndlr), tu pourrais peut-être monter mes merdes ?”

Avec déférence et amusement, Yann Dedet se souvient de leur travail commun, des célèbres frasques du cinéaste, de son goût pour les “accidents qui enrichisse­nt la chair du film”, de la “grâce” et de sa quête, intransige­ante, douloureus­e, comme elle le fut sur Sous le soleil de Satan, récompensé en 1987 de la Palme d’or mais qui se révéla comme un véritable chemin de croix pour son auteur qui n’en voyait que les erreurs.

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