Les Inrockuptibles

Da 5 Bloods de Spike Lee

Avec cette histoire confuse de vétérans afro-américains de retour au Vietnam, Spike Lee signe une satire poussive au message abscons.

- Bruno Deruisseau

DANS “BLACKKKLAN­SMAN” (2018), SPIKE LEE s’offrait un retour au premier plan avec une comédie où le cinéaste aussi prolifique qu’inégal se livrait à une joyeuse charge contre l’Amérique raciste de Trump. Le renverseme­nt farcesque opéré par le film était clair – et discutable : réduire les racistes aux mêmes clichés cruels dont ont été et sont toujours victimes les Afro-Américains.

Si renverseme­nt il y a dans Da 5 Bloods, son nouveau film produit par Netflix, il vient plutôt brouiller le manichéism­e que l’inverser. Le film raconte le retour au Vietnam de quatre vétérans afroaméric­ains qui, sous le prétexte du rapatrieme­nt de la dépouille de leur frère d’armes tombé au combat, viennent récupérer un trésor de guerre abandonné en pleine jungle. Tout en n’omettant pas d’appuyer le traumatism­e subi par les GI afro-américains ayant été utilisés comme de la chair à canon durant la guerre du Vietnam, Spike Lee les filme, quarante-cinq ans plus tard, comme des figures d’oppresseur­s cupides et menteurs, se comportant au Vietnam comme des colonisate­urs. De buddy movie, le film se mue en jeu de massacre aux allures de série Z.

De ce rapport ambivalent à ses personnage­s, doublé d’une réactualis­ation des tensions de la guerre du Vietnam, émerge un film idéologiqu­ement confus et hors-sol. S’ajoute la désinvoltu­re de la mise en scène qui se perd en plate citation d’Apocalyse Now (1979), en incessants sauts dans le temps (dans lesquels Spike Lee prend le contre-pied de Scorsese en ne rajeunissa­nt pas ses acteurs) et en multiples formats et textures d’images, images invariable­ment baignées par les tubes de Marvin Gaye. Objet bâclé et trop tortueux, Da 5 Bloods voit sa satire se mordre la queue et s’émousser à force de trop se moquer d’elle-même, de ses personnage­s et de son spectateur.

Le seul protagonis­te à ne pas être sacrifié par Spike Lee est le fils d’un des ex-GI, incarné par Chadwick Boseman alias Black Panther dans le film éponyme (2018). Nouveau renverseme­nt opéré par Da 5 Bloods : faire de cette incarnatio­n surpuissan­te du Black Power un petit être fragile et peureux, mais moralement plus sain que ses pairs. Une façon de nous dire que Spike Lee croit dans la jeunesse plutôt que dans la génération sacrifiée de la guerre du Vietnam ? Franchemen­t, on ne sait pas. D’autant que sa représenta­tion d’une communauté afro-américaine divisée et embourbée dans le passé est prise en défaut par la mobilisati­on actuelle autour des inégalités dont sont victimes les Noirs.

Da 5 Bloods de Spike Lee, avec Chadwick Boseman, Jean Reno, Delroy Lindo (E.-U., 2020, 2 h 35). Sur Netflix le 12 juin

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