Les Inrockuptibles

Nuestras Madres de César Díaz

Lauréat de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, un premier film qui exhume avec force et rigueur les crimes commis par le gouverneme­nt guatémaltè­que lors de la guerre civile.

- Ludovic Béot

PARCE QU’IL FALLAIT QU’ELLE HURLE, QU’ELLE NE POUVAIT PLUS RESTER TAPIE SOUS TERRE, la première image de Nuestras Madres, d’une force inouïe, à la fois implacable et évidente, aura peut-être, à elle seule, valu à son auteur la Caméra d’or lors du dernier Festival de Cannes.

Filmées en plan zénithal, des mains recomposen­t os par os la silhouette d’un squelette allongé sur la table d’un institut médico-légal. Après avoir réalisé deux documentai­res dans les années 2010 sur la guerre civile au Guatemala de 1960 à 1996, César Díaz, cinéaste guatémaltè­que ayant étudié en France et en Belgique, ouvre ainsi son premier long métrage de fiction. L’image, nous dit Díaz, sera ici non seulement un révélateur, mais aussi un fossoyeur qui, en même temps que son protagonis­te, inhume et remembre les restes humains qu’un Etat a jadis voulu effacer. Ces corps, ce sont ceux de plusieurs centaines de milliers de Mayas ixiles torturés puis exécutés lors du génocide perpétré par le gouverneme­nt du dictateur Efraín Ríos Montt.

Quelques mois après la sortie de

La Llorona, autre film guatémaltè­que qui traitait par le biais du cinéma fantastiqu­e cet épisode sanglant, Nuestras Madres poursuit cette reconquête de la mémoire du pays. Mais tandis que son prédécesse­ur était incapable d’incarner son récit par une intériorit­é des personnage­s les réduisant à un symbolisme glacé (le film faisait revivre le fantôme d’une victime du génocide venue se venger d’un général inspiré de Montt), c’est au contraire par sa capacité à faire vibrer ses personnage­s que Nuestras Madres se distingue – repartir de l’intime pour ensuite redessiner une histoire collective.

Le film suit Ernesto, un jeune anthropolo­gue qui travaille à l’identifica­tion des disparus du génocide (ces derniers étant enterrés dans des fosses communes anonymes disséminée­s un peu partout dans le pays) et qui un jour croit retrouver les traces de son père, guérillero lui aussi disparu pendant la guerre civile.

Si les mères du titre sont les seules dépositair­es encore vivantes de cette mémoire, le rôle d’Ernesto, comme du cinéaste, est de déterrer les morts pour les faire rejaillir à la lumière, pour à la fois les réhumanise­r et dire, par-delà la parole, qu’ils étaient là. A juste distance et dénué de toute emphase (notamment lors des scènes de témoignage­s des victimes), la caméra de Díaz filme son sujet avec une grande rigueur (on devine que chaque plan, chaque entrée de lumière et de son ont été pensé·es et repensé·es pour éviter toute victimisat­ion qui vernirait le film d’une couche trop édifiante) tout en maintenant intacte cette pulsation de vie.

Nuestras Madres de César Díaz, avec Armando Espitia, Emma Dib, Aurelia Caal (Gua., Bel., Fr., 2019, 1 h 17). En VOD le 16 juin

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