Les Inrockuptibles

La révolution en marge

Avec son schéma classique mêlant la grande et la petite histoire, LE DOMAINE se déploie sur plusieurs décennies pour raconter un pays, le Portugal, et convainc sur la longueur.

- Olivier Joyard

DEPUIS DAVID LYNCH, FINCHER, DUMONT ET TANT D’AUTRES – dont, bientôt, Sofia Coppola –, noter les allersreto­urs entre cinéma et séries est quasiment devenu un sport à plein temps, car les frontières autrefois nettes (quoique) sont désormais ouvertes à tous vents, y compris à l’intérieur des oeuvres elles-mêmes. Le réalisateu­r Tiago Guedes a présenté une version du Domaine en compétitio­n au Festival de Venise en 2019. Un découpage en trois épisodes nous parvient en France sur l’écran d’Arte, ce qui va comme un gant à son désir romanesque étendu sur plusieurs décennies.

En trois heures, Le Domaine parcourt cinquante ans de l’histoire portugaise. Après un bref prologue dans les années d’après-guerre, l’action se concentre sur les années 1970, notamment les mois qui précèdent la révolution des OEillets et la chute de la dictature qui persistait malgré la mort du général Salazar, puis sur les années 1990, quand le domaine dont nous suivons l’évolution périclite doucement mais sûrement. La grande histoire et la petite, le refrain est connu mais efficace, souvent porteur de profondeur et de cruauté.

João Fernandes est un propriétai­re terrien installé au sud de la rivière Tage, à la tête du plus grand domaine du pays. Un patron dur et autoritair­e. Les échos des bouleverse­ments politiques lui parviennen­t de façon indirecte, quand l’armée (son épouse est la fille de l’un des hommes au pouvoir) lui demande de soutenir la guerre coloniale en Angola.

Ce qu’il ne fait pas. João n’est pas non plus, notons-le, un grand fan des hommes et femmes de gauche qui fomentent la révolution. C’est une sorte de post-cowboy rustre et misogyne, vaquant hors du temps et des milieux, incapable de situer son désir ailleurs que dans la possession des êtres et des terres.

Dans cette partie-là, a priori la plus brûlante, Le Domaine déploie son élégante vision des corps et des paysages, ses plans étendus dans la durée, même si quelque chose d’un peu figé se dégage de l’ensemble – comme si nous passions à côté d’un sujet de la même manière que les personnage­s passent à côté de l’histoire. C’est au-delà de la moitié des trois heures et surtout dans son dernier épisode que la fiction décolle vraiment, quand elle dévoile sans ambiguïté son fond classique, autour d’une question de filiation dévorante pour tout le monde. Les scènes se tendent subitement, les émotions giclent et la relative sagesse qui semblait régner ploie sous la tension et les enjeux. Sans révolution­ner le cinéma ni les séries, Le Domaine a les qualités de sa sincérité, de sa quête d’intimité qui finit par toucher juste.

Le Domaine sur Arte le 11 juin à 20 h 55 et sur arte.tv jusqu’au 4 juillet

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