Les Inrockuptibles

Le temps retrouvé

En mêlant mélo et thriller, Hervé Hadmar réussit avec Romance à créer un beau dispositif fait d’allers-retours entre présent et passé.

- Olivier Joyard

IL Y A DANS LA TENTATIVE D’HERVÉ HADMAR UNE ÉQUATION QUE L’ON POURRAIT CROIRE PERDUE D’AVANCE : créer une ambitieuse mini-série sur l’obsession amoureuse, inspirée par Vertigo d’Alfred Hitchcock et Plein Soleil de René Clément, sur une chaîne de service public dans la France de 2020. La contradict­ion dans les termes paraît claire, pourtant, une part du charme que dégage Romance tient à sa capacité à faire “comme si” : comme si rien ne bloquait les espaces narratifs en prime time, comme s’il était possible de développer un monde visuel inhabituel dans un contexte français mainstream et, enfin, comme si on pouvait voyager dans le temps.

C’est ce que fait le héros, Jérémy, un trentenair­e parisien terrassé par la banalité de sa vie. Un soir, alors qu’il a réussi à se faire embaucher au Wonderland, un club de jazz d’aujourd’hui, il tombe amoureux de la photograph­ie d’une jeune femme des années 1960 à Biarritz. A force de désir

– et à travers un dispositif directemen­t emprunté par Hadmar à David Lynch et Lewis Carroll –, le jeune homme se retrouve capable de visiter le passé et commence une nouvelle vie sur la Côte basque, s’incrustant dans l’univers des nantis où il retrouve une certaine Alice, la femme de la photo. A partir de ce postulat, Romance imagine des allers-retours fiévreux entre deux époques, mais surtout observe son personnage à la fois en train de se réinventer et de percer le secret de celle dont il est amoureux.

Les codes du mélo et du thriller à l’ancienne se mêlent pour tisser une toile très habile, souvent captivante, dont on peut regretter qu’elle donne une place relativeme­nt passive à ses personnage­s féminins, notamment Olga Kurylenko, à laquelle il manque une incarnatio­n plus forte et un point de vue. Hadmar reste souvent aussi ébahi devant elle que son personnage masculin, auquel est offerte une palette d’expression plus large.

Jérémy est un beau personnage, émouvant et habité, que Pierre Deladoncha­mps investit avec une finesse mémorable. De Téchiné à Honoré, en passant par Alain Guiraudie, l’acteur s’est construit une filmograph­ie passionnan­te, qu’il amène ici avec lui comme un bagage discret.

Le trouble provoqué par Romance lui doit beaucoup, tout comme il doit à la manière qu’a Hervé Hadmar (seul scénariste et réalisateu­r) de pousser quand il le peut quelques limites : belles vues étranges de la mer à Biarritz, scène de meurtre à couper le souffle, notamment... Mettre du style à la télé française n’a vraiment rien d’évident. Mais depuis

Les Oubliées, Pigalle, la nuit, Signature et Les Témoins, Hadmar a accompli son oeuvre en ne lâchant pas l’idée.

Romance six épisodes à partir du 10 juin sur France 2

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Pierre Deladoncha­mps et Olga Kurylenko

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