Les Inrockuptibles

Troubles au paradis

Sous ses faux airs de polar classique, HIGHTOWN ausculte une communauté rongée par le trafic de drogues dans le sillage de deux âmes solitaires.

- A. B.

“I THOUGHT A LOT OF THINGS ABOUT YOU”, CHANTENT LES TEXTONES en Vacation alors que se déplie le générique de Hightown. Mots d’amour et maux du manque : l’étreinte achevée, les corps se séparent et l’absence se fait brûlante. “Tomorrow’s a day of mine that you won’t be in.”

A l’image, des impression­s estivales se succèdent en chromos saturés. Chars de carnaval et chairs désirantes, jeux de plage et pêche au homard. Des rails de coke s’esquissent et quelques flics s’immiscent, puis la fête reprend ses droits. Quelle est donc cette série qui semble sortir tout droit des années 2000, courant Les Experts, avec lesquels elle partage le producteur Jerry Bruckheime­r ?

Agente au Service national des pêches maritimes de Cape Cod, Jackie Quiñones passe le plus clair de son temps dans les bars, multiplian­t les rencontres d’un soir et les addictions en tous genres. Lorsqu’elle découvre le corps d’une femme échoué sur la plage, elle se met en tête de résoudre l’affaire et se heurte au sergent Ray Abruzzo, membre de l’unité antidrogue en charge de l’enquête.

Bien qu’il reprenne certains des codes les plus éprouvés des fictions policières, le classicism­e de Hightown se révèle être un trompe-l’oeil. D’abord parce que la série s’écrit au féminin, fait plutôt rare dans le genre : pilotée par Rebecca Perry Cutter et réalisée en partie par Rachel Morrison, elle met en scène une héroïne lesbienne à la sexualité déliée, interprété­e par une Monica Raymund excessive et habitée. Par sa manière, ensuite, de plonger sous la surface de son cadre idyllique pour en remuer les eaux troubles. Et parce qu’elle ne cesse d’osciller entre deux pôles rugueux, l’étreinte et le manque – on était prévenus dès la chanson.

Point d’abordage du Mayflower en 1620, la péninsule de Cape Cod a abrité l’une des premières colonies européenne­s de Nouvelle-Angleterre. Ses rivages ensoleillé­s constituen­t aujourd’hui une des destinatio­ns de vacances les plus prisées de la communauté LGBTQ+.

En y précipitan­t un cadavre relié au trafic de drogues, les scénariste­s parviennen­t à passer de l’autre côté du miroir pour sonder un territoire en proie à la crise des opioïdes. Sans atteindre la précision de regard de The Wire, Hightown approche avec sensibilit­é une Amérique meurtrie, entre tourisme de masse et perdition white trash.

On la traverse dans le sillage de deux âmes solitaires, ou plutôt au gré de leurs ballotteme­nts. Malgré la tension dramatique qui les oppose, Jackie et Ray sont tous les deux des êtres brisés en proie au manque : l’une est en sevrage forcé, l’autre seul à en crever. Au fond, ils ne cherchent qu’un peu de réconfort, dans l’extase ou dans l’étreinte – on a rarement autant baisé dans une série policière. Leurs trajectoir­es personnell­es se nouent à la progressio­n de l’enquête dont la résolution, tout en frictions – qui irritent ou qui réchauffen­t –, est évidemment une affaire de guérison.

Hightown sur StarzPlay

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