Les Inrockuptibles

Critiques

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Notre sélection des films de l’été à retrouver sur grand écran

un premier temps, il était question qu’on recommence le tournage le 20 avril. Quand j’ai vu que cette histoire allait durer, je me suis remis à un roman que j’avais abandonné et j’ai fini par rentrer à Paris pour commencer le dérushage du film. Et j’en ai aussi profité pour voir Harry Potter et revoir tout Twin Peaks.

Que vous reste-t-il à tourner ?

Il nous reste des scènes d’intérieur dans un hôtel et une scène d’extérieur à Clermont, qu’on devait initialeme­nt faire à Saint-Denis, mais la municipali­té, et on comprend pourquoi, s’y est opposée. De toute façon, ça aurait été le bordel parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est sur un film d’hiver et que là on bascule en été. Vous imaginez une rue à Saint-Denis, hyper-passante en ce moment et avec tout le monde en short et T-shirt ? Donc, à moins d’avoir des moyens humains énormes pour empêcher la moindre personne de passer, on ne pourra jamais faire croire à l’hiver. Nos comédiens tourneront en polaire, ils vont transpirer. On a aussi le problème du temps de nuit. Le film est très nocturne et il nous restait beaucoup de nuit à faire. En mars, on a douze heures de nuit, alors que là, on a à peine sept heures de vraie nuit.

Il va falloir rentrer en sept heures ce qu’on pouvait faire en douze. Mais bon, ce n’est que huit jours, on va serrer les fesses.

Quels effets auront les mesures sanitaires sur le tournage d’après vous ?

Il faudra être très organisé et attentif. Tous les membres de l’équipe porteront des masques et nous ferons de régulières tournées générales de gel hydroalcoo­lique entre les prises. Après, ma position, celle de réalisateu­r, est assez pratique parce qu’on peut arriver à faire un film les mains dans les poches. Mais ce qu’il y a d’inquiétant dans l’affaire, c’est que, déjà en temps normal, on n’a pas tout le temps qu’on voudrait. Le respect des mesures va nous faire perdre vachement de temps, sans que je puisse avoir des jours de tournage en plus. D’autant que cela va augmenter le coût de production du film. On a par exemple engagé une infirmière qui sera sur place pour nous alerter sur les choses à ne pas faire et examiner les gens qui auraient d’éventuels symptômes.

Est-ce que les mesures sanitaires auront une incidence sur votre scénario ou votre mise en scène ?

Je ne pense pas. Les scènes de proximité, intimes, de sexe, d’amour et de bagarre étaient déjà faites. Il nous reste des scènes de dialogue. Il y a bien deux, trois trucs qui posent problème, notamment une scène d’interrogat­oire musclé. Il ne faudrait pas que l’un des protagonis­tes postillonn­e au visage de son partenaire. C’est sûr que les règles sanitaires vont influencer le découpage. On va faire du champ-contrecham­p avec l’autre comédien qui sera derrière la caméra avec une visière.

Avec ce film sur le climat des attentats et déjà dans Ce vieux rêve qui bouge, vous vous intéressez à des changement­s de paradigme. Vous avez l’impression d’en vivre un en ce moment ?

C’est sûr que le film que je suis en train de faire parle d’une situation de rupture entre le monde d’avant et le monde d’après, sur fond d’attentats. Même si je ne sais pas où on va, je pense qu’il s’est passé quelque chose d’assez fondamenta­l avec ce virus. Mais la fin du monde, je n’ai pas attendu le Covid pour y penser. C’était déjà en germe dans ma tête. J’ai le sentiment qu’on vit la fin de quelque chose. Le Covid a été le catalyseur de cette fin. Ça n’a pas révélé des inégalités, ça les a exacerbées. Ça a aussi accéléré l’avènement du numérique. Je suis inquiet pour le cinéma et la marche du monde, mais j’étais déjà inquiet avant le Covid. Je n’ai pas de raison de l’être moins aujourd’hui.

Ce que vos films opposent à la dureté du monde et à la mort, c’est toujours la sensualité, le contact physique. Sentez-vous que le bastion du désir est menacé par cet impératif de la distanciat­ion physique que vous devrez pratiquer jusque sur vos tournages ?

Je trouve que le Covid est un peu venu peaufiner l’oeuvre commencée par le sida, qui a déjà bien pété le romantisme et qui a déjà mis fin à une forme d’insoucianc­e sur le contact physique. Sauf que le sida, on ne peut pas le choper dans la rue, il n’est pas dans l’air comme le Covid. Mais j’ai l’espoir que les gens résistent à ça, qu’ils reviendron­t les uns vers les autres. En France, avec notre tradition romantique, je pense qu’on aura toujours envie de l’autre. L’hygiénisme vanté par certains ne prendra pas.

Ce que beaucoup ont expériment­é pendant ce confinemen­t, c’est le besoin d’un retour à la nature et aux grands espaces. Parmi les grand·es cinéastes français·es, vous êtes celui qui s’est le plus déployé dans ce type de territoire.

Oui, c’est l’horizon de mon enfance. Et puis, en dessous de ça, il y a quelque chose de politique : c’était important pour moi de faire un cinéma avec des horizons lointains. Ça s’opposait au cinéma que je voyais en France à l’époque, un cinéma d’intérieur parisien tourné dans le XIe arrondisse­ment, un peu petit-bourgeois. J’en avais marre. C’est pour ça que j’ai tenu cette barre-là, aller faire du cinéma dans de grands espaces.

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Viens je t’emmène, en janvier, à Clermont-Ferrand
Alain Guiraudie sur le tournage de Viens je t’emmène, en janvier, à Clermont-Ferrand

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