Les Inrockuptibles

CAHIER CRITIQUES

Avec Feel Feelings, enregistré pendant sa maternité, Stéphanie Sokolinski signe son album “le plus doux”. Rencontre parisienne avec l’insaisissa­ble SOKO.

- Franck Vergeade

NOTRE DERNIÈRE RENCONTRE RESTE MARQUÉE AU FER ROUGE, elle précédait de quelques heures la tuerie de Charlie Hebdo un mercredi d’hiver givré, sombre et tragique. Retrouver Soko cinq ans après dans la capitale française en pleine fashion week d’avant le confinemen­t général a quelque chose d’un peu surréalist­e, malgré le plaisir renouvelé d’échanger avec une chanteuse, musicienne et actrice qui a longtemps traîné une sale image médiatique en raison d’un caractère bien trempé nous la rendant plus attachante et précieuse.

Au rythme de deux albums par décennie, Stéphanie Sokolinski n’encombre guère les bacs des disquaires. Après le tourmenté I Thought I Was an Alien (2012) et le cathartiqu­e My Dreams Dictate My Reality (2015), elle publie enfin Feel Feelings, qui sort encore une année bissextile et qui ferme ainsi une trilogie discograph­ique : “J’aime bien prendre mon temps et surtout emmagasine­r des expérience­s de vie pour les aborder de manière authentiqu­e et jamais forcée. Pour Feel Feelings, je me suis astreinte à un célibat forcé pour me mettre en immersion totale et complète dans ce disque. C’est rare de pouvoir s’accorder une telle opportunit­é dans une vie.”

Une ascèse volontaire qui fait écho à sa mélancolie assumée ( Being Sad

Is Not a Crime, single dévoilé en janvier et sonnant comme du Ariel Pink au féminin) tout en envisagean­t des lendemains qui déchantent moins souvent. “Auparavant, je trouvais l’inspiratio­n dans mon propre passé. Cette fois, j’ai fait un état des lieux, en amalgamant tout ce que je suis, pour me projeter en avant. Je regarde enfin devant plutôt que derrière moi. D’ailleurs, le tout premier morceau composé s’intitule Let Me Adore You. Derrière des paroles toujours aussi intimes, la musique se fait plus mélodieuse, sans être non plus enjouée. C’est certaineme­nt mon disque le plus doux, qui peut aussi bien s’écouter dans un lit qu’en voiture.”

Comme à l’accoutumée, Soko a commencé par définir le titre de son album avant d’en écrire les chansons, juste avant de devenir mère : “J’ai toujours rêvé d’être maman depuis que je joue aux poupées. J’ai cinq frères et soeurs, alors je ne compte pas m’arrêter là…” Sur le conclusif Hurt Me with Your Ego, on entend les battements du coeur de son fils, Indigo Blue, enregistré­s pendant la première échographi­e de Soko à Los Angeles, où elle s’est installée et vit depuis des années.

Sur la pochette de Feel Feelings, on la voit en costume rouge prête à décrocher les étoiles avec son arc en plastique et son air malicieux. En sus d’une responsabi­lité nouvelle, sa maternité l’astreint à un autre rythme de vie : “Désormais, grâce à l’horloge biologique de mon bébé, je me sens beaucoup plus saine et zen. J’ai arrêté de vivre dans un sac de voyage. Etre responsabl­e de quelqu’un d’autre m’a libérée.” Pour autant, Soko assure la promotion de son nouvel album et multiplie les rôles au cinéma comme si de rien n’était.

Au moment de sa venue parisienne fin février, elle sortait de trois tournages dispersés entre le Canada, la France et la Croatie, tout en allaitant son fiston. Covid-19 oblige, on ignore quand on pourra la revoir sur grand écran, mais, en attendant, on se plongera à l’envi dans

Feel Feelings, un troisième album où Soko semble s’affranchir de quelques démons tout en restant entourée par d’insignes figures de la pop internatio­nale (l’exChairlif­t Patrick Wimberly et Dustin Payseur de Beach Fossils à la production, Sean Lennon et James Richardson de MGMT parmi les musiciens sollicités).

“Je suis déjà nostalgiqu­e de la liberté et de la simplicité dont j’ai profité pour faire cet album. En termes de relief sonore, j’avais quelques références précises, notamment les production­s démoniaque­s de 10 000 Hz Legend d’Air et Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg.” Pour la première fois, Soko s’est même essayée à sa langue maternelle dans Blasphémie, obsédante chanson de rupture autobiogra­phique.

Dans Feel Feelings, elle déroule ainsi un fil d’Ariane sur des mélodies graciles et entêtantes, flirtant autant avec un psychédéli­sme voilé (Are You a Magician ?) qu’avec un groove débridé (Looking for Love). Treize ans après son tube I’ll Kill Her et quelques mois avant de fêter son trente-cinquième anniversai­re, Soko est enfin en accord avec elle-même.

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Feel Feelings (Babycat Records/Because)

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