Les Inrockuptibles

Reportage Le sexe après le déconfinem­ent

Pendant la période de confinemen­t, nous avions recueilli des paroles nous racontant LE SEXE ET LE NON-SEXE. Dernier épisode de notre série “Maison close” : que s’est-il passé depuis le 11 mai ? Pas vraiment l’orgie prévue…

- TEXTE Carole Boinet PHOTO Slava Mogutin

ON ATTENDAIT UNE HISTOIRE DE CUL, ELLE NOUS BALANCE UNE HISTOIRE DE LETTRE. Une lettre d’amour écrite à la main sur du papier recyclé qu’elle a soigneusem­ent glissée dans un roman offert à son collègue et voisin la veille de son déménageme­nt. Elle, c’est Aurora. Nous l’avions quittée le 24 avril 2020. En plein confinemen­t, elle nous racontait – pour notre série d’articles “Maison close” – la folle soirée passée avec lui chez elle. Il ne s’était rien passé, mais elle en avait eu envie.

Depuis, il ne s’est toujours rien passé et elle en meurt d’envie. Mais voilà, il a déménagé, avec un roman et une lettre toujours pas ouverte. “A se demander s’il sait lire !, s’écrie-t-elle. Avant le confinemen­t, je n’en avais rien à faire. Parfois, au travail, je préférais même manger seule qu’avec lui ! Maintenant, si on me demandait si je veux des enfants avec lui, je dirais oui !” Pourtant, ils n’ont échangé ni salive ni toucher. “Peut-être que j’alimente un fantasme… C’est ce confinemen­t qui nous a rapproché·es, sans lui je ne l’aurais jamais vu comme ça. Peut-être qu’un jour je te rappellera­i pour t’inviter à notre mariage ! Bon, je m’emballe.”

Quel impact la crise – sanitaire, économique, psychologi­que – du coronaviru­s a-t-elle eu sur nos relations sexuelles et amoureuses ? Baise-t-on plus ou moins dans le monde d’après que dans celui d’avant ? Le sexe est-il tabou ? Et que deviennent nos fluides ? Comment rencontre-t-on l’autre en l’absence de

fêtes et de festivals ? “Se déconfiner” est même devenu une expression renvoyant moins au fait de briser la limite d’un kilomètre qu’au fait de s’envoyer en l’air post-confinemen­t. “Et toi, qui t’a déconfiné·e ?” devenant une véritable question à poser en soirée.

Les réponses sont aussi variées que les individus qui nous appellent ou nous écrivent pour se raconter avec, tout de même, un bon lot de similitude­s : carence affective voire baisse de la libido, ou bien exacerbati­on émotionnel­le et impression de sortir d’une faille spatiotemp­orelle. Nombre de plans décrochés à distance ou pour de vrai, en bravant les règles du confinemen­t, se sont brisés. Comme celui d’Eva, 44 ans, qui semblait vivre une idylle à distance avec son amoureux rencontré sur appli au mois de janvier, chacun·e confiné·e avec leurs filles ados. Et pourtant, après trois semaines de déconfinem­ent, la relation s’est délitée. L’amoureux est distant, répond de moins en moins. Ils n’ont baisé qu’une seule fois. “Je ne le vois pas pratiquer ce qu’on appelle le ghosting ! Si cela était le cas, je serais véritablem­ent écoeurée, car si j’ai pu être confrontée à ce genre de pratique avec certains hommes par le passé, j’ai appris à m’en méfier et je ne me donne pas facilement. Rien dans son attitude ou son comporteme­nt ne pouvait laisser présager ce type de pratique : ne pas rappeler sans explicatio­ns… A noter que nous n’appartenon­s pas du tout à la même classe sociale : il gagne 4 000 euros par mois, moi à peine 2 000. Il m’a toujours dit que cela ne le gênait pas…”

Confinée avec ses parents loin de son mec, Marie, 17 ans, a vécu un véritable moment starstruck en le revoyant après deux mois de confinemen­t : “Tu sais, c’est comme quand tu vois une star pour la première fois en vrai, ça te fait très bizarre, car tu l’as toujours vue à distance, sur un écran.” Le hic : une mycose s’invite à la soirée. “Ça faisait mal et j’avais l’impression que mon corps n’était pas prêt à retrouver une intimité avec lui et qu’il se fermait.”

Après plus de trois mois sans sexe, Safia, étudiante en communicat­ion, se satisfaisa­it presque de son “quotidien monacal”. Et puis, la gêne de dévoiler son corps devenu tout mou à cause du confinemen­t devant un étranger la retenait. Mais à peine le déconfinem­ent entamé, l’envie est plus forte, elle rappelle un ancien one-shot. Ils se promènent dans Paris à un mètre de distance avant d’envoyer valser leurs masques. “Je crois qu’il nous aura fallu cinq heures pour venir à bout de nos désirs. J’ai même sorti mes sextoys !” Quelques jours plus tard, elle vit “une baise de malade” avec un quadra rencontré dans un bar. “Je suis rentrée à pied, mon masque sur le bout du nez, un sourire de bien-être caché en dessous.”

La libération du sexe est encore plus forte chez Anaïs. Cette set-designeuse de 31 ans était rentrée en confinemen­t brisée en mille morceaux par une douloureus­e rupture et tiraillée par un énorme point d’interrogat­ion sur son orientatio­n sexuelle, sans avoir personne à qui parler puisqu’elle vivait recluse à la campagne avec sa mère catho tradi. “J’avais juste Tinder, qui était une petite lucarne. J’ai flashé sur une meuf, on faisait l’amour par téléphone, on s’est envoyé des vibros. Dès qu’elle se touchait, elle m’envoyait des photos de sa main toute mouillée. J’en ai plein mon téléphone !” Mais la relation ne résiste pas au confinemen­t : “Ça a rendu tout plus intense, on se comportait comme un couple alors qu’on ne se connaissai­t pas !”

Deux mois plus tard, Anaïs s’affirme bisexuelle : “J’ai couché avec un mec, des nanas et même un couple ! Normalemen­t, je tombe amoureuse quand je couche, et là non. Je me sens bien dans ma peau, j’ai envie d’en profiter ! Je me suis rendu compte que je n’étais pas si mal avec moi-même et que je pouvais avoir des aventures. Mais, attention, il faut garder des repères ! Tinder, c’est une industrie du sexe, un trou noir !”

Explorer et sexplorer surtout. C’est le credo que s’est donné Pierre, 23 ans, qui nous avait pourtant expliqué avoir délaissé Grindr pendant le confinemen­t, sa libido mise à mal par l’angoisse de la situation et la peur d’un virus inconnu. “A l’approche du déconfinem­ent, je me suis dit que mes fantasmes pouvaient être un point de départ pour la relancer, que ça me motiverait !” Pierre rouvre Grindr et tombe sur un garçon intéressé par une pratique qu’il souhaitait expériment­er un jour ou l’autre : l’uro ! “C’était pas bestial mais plus direct qu’avant. On n’a pas tourné autour du pot. Lui préférait être donneur, moi receveur. On a plutôt bien aimé, même si je ne pourrais pas t’expliquer pourquoi ça m’attire, c’est comme me demander pourquoi je suis gay !”

Autre projet : tester l’extérieur à Vincennes, et pourquoi pas à plusieurs (“mais je n’ose pas encore choper quelqu’un sur place…”), puis s’envoler en Espagne, à Sitges, dont les plages naturistes seraient “chaudes”. “J’ai envie d’un lieu hors du temps, hors du quotidien et loin de Paris !” Quant à la peur du virus, désormais, il la balaie : “Si l’on reprend le travail, la vie reprend, or la vie est faite de risques, donc j’assume. Autant qu’en prenant un Vélib’ ou en faisant mes courses.”

C’est une romance digne des meilleures comédies US que vit Damien, 40 ans, confiné seul avec ses deux enfants en garde partagée. “J’avais été très sage et je croyais même avoir rangé définitive­ment mes pulsions, et j’ai malencontr­eusement croisé une voisine installée depuis peu au-dessus. On a dix ans d’écart, mais beaucoup trop de carences affectives depuis ces derniers mois. Alors un soir, éméché, je lui ai écrit un mot doux que j’ai glissé sous son paillasson. Le lendemain, j’ai émergé difficilem­ent face à ce souvenir…, j’ai passé la journée à me sentir comme un crétin.” Finalement, la jeune voisine lui écrit. “La nuit a été follement débridée et depuis trois jours

“Je me sens bien dans ma peau, j’ai envie d’en profiter ! Je me suis rendu compte que je n’étais pas si mal avec moi-même et que je pouvais avoir des aventures” ANAÏS, 31 ANS

on se retrouve en catimini avec mes gosses qui dorment à côté !”

Si le rapprochem­ent physique imposé par le confinemen­t a relancé des couples moribonds, il a, aussi, ramené nombre de femmes à la vie domestique : tâches ménagères, cuisine et s’occuper des enfants tout en assurant – souvent – un emploi à distance ou non-confiné dans les métiers du “care”, justement. Lise, productric­e ciné, nous écrit sur Instagram : sa libido et ses règles ont disparu pendant le confinemen­t. Après avoir retourné le problème dans tous les sens, elle l’attribue en partie à une mauvaise répartitio­n des tâches ménagères. “Il fait la vaisselle mais ne nettoie pas les chiottes par exemple. Il allait faire les courses pour sortir mais me demandait d’en écrire la liste. Il choisissai­t les trucs ‘sympas’! C’est pas hyper-excitant de jouer à la daronne de son keum… Je pense que la charge mentale impacte la libido. Surtout dans une période où tu es stressée, où tu ne vois rien d’autre que les murs blancs de ton appart.” Le désir est revenu avec le déconfinem­ent et l’éloignemen­t physique. “Mes règles aussi !”

Du côté des travailleu­ses du sexe que nous avions contactées pendant le confinemen­t, les réponses varient selon le type d’activité pratiquée. Anaïs de Lenclos, escort et porte-parole du Strass (Syndicat du travail sexuel), a repris depuis le 11 mai. Ses clients la contactent en ligne, mais ils niquent en vrai avec les mains désinfecté­es au gel mais sans masque. Elle ajoute : “Au Bois, les collègues ont toutes repris en même temps, ce qui n’arrive jamais. Comme il y a peu de clients, il y a beaucoup de tensions. Moi-même, j’ai eu pas mal de lapins de la part de clients réguliers.” Anaïs ne pense pas au virus : “On ne peut pas se permettre de ne pas travailler pendant six mois… Et dans notre activité, les gestes barrières n’ont pas de sens.”

En bonne dominatric­e, Marie Albatrice n’a pas de relation sexuelle classique avec ses clients (“certaines domina en ont, en Allemagne, on les appelle les ‘bizarre ladies’”, précise-t-elle). Elle a malgré tout mis en place un dispositif : douche intégrale, affaires dans un sac fermé et prise de températur­e. “C’est devenu un jeu ! S’ils dépassent 38, je les refuse. Ça fait monter la pression dans leurs petits coeurs.” Le principe du masque est aussi devenu ludique. “Je leur fais mettre leurs slips en masque par exemple. Mon premier rendez-vous postconfin­ement, c’était avec un soumis qui adore le poppers, alors je lui ai mis un masque à gaz avec du poppers.”

Depuis le déconfinem­ent, Marie Albatrice constate une plus grande attente de la part des clients. “Il y a une explosion des envies ! D’anciens réguliers reviennent. Il n’y a ni clubs, ni soirées libertines ou BDSM, ni festivals d’ailleurs, alors comment fait-on la fête ? On se relâche dans le sexe !”, analyse-t-elle. Depuis le choc du confinemen­t, elle a repensé sa façon de travailler en s’installant dans un nouveau donjon de 120 mètres carrés à Aubervilli­ers. Elle préfère désormais limiter son “cheptel” de soumis à dix par mois, quitte à en refiler à des collègues. “Moins de monde, mais plus de qualité ! Avec des séances allant souvent jusqu’à cinq heures !” Quelques pratiques ont tout de même disparu : l’uro, le fooding (le fait de recracher de la nourriture prémâchée dans la bouche d’un partenaire).

“Ah, et puis les crachats !”

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