Les Inrockuptibles

Entretien La liberté selon Brigitte Lahaie et Olympe de G.

- TEXTE Pauline Verduzier

S’il y a un duo auquel on ne s’attendait pas, c’est bien celui-là. Pour son premier long métrage, Une dernière fois, diffusé sur Canal+, la réalisatri­ce porno féministe OLYMPE DE G. est allée trouver BRIGITTE LAHAIE, icône de l’âge d’or du X français. Rencontre croisée.

SALOMÉ, 69 ANS, SAIT QUAND ELLE FERA L’AMOUR POUR LA DERNIÈRE FOIS. Du moins s’emploie-t-elle à organiser cette ultime étreinte en publiant une petite annonce dans le journal. Une histoire qui s’épargne tout pathos pour faire défiler les prétendant·es dans son appartemen­t. Mais même en voulant les contrôler, les dernières fois ne sont pas toujours celles que l’on croit. Diffusé sur Canal+, Une dernière fois est le premier long métrage de la réalisatri­ce porno féministe Olympe de G. – connue pour ses production­s diffusées sur les plateforme­s Erika Lust, XConfessio­ns ou encore pour son podcast érotique Voxxx. C’est aussi la première apparition de la cultissime Brigitte Lahaie, qui n’avait pas tourné dans un film porno-érotique depuis 1995.

Comment est née l’idée de cette collaborat­ion ?

Brigitte Lahaie — C’est Olympe qui est venue vers moi pour me proposer le rôle de Salomé. Comme je reste toujours ouverte, j’ai demandé à me faire envoyer le scénario. J’ai hésité, parce que je savais que j’avais plus à y perdre qu’à y gagner. Aujourd’hui, ça marche très bien pour moi à la radio et me remettre nue pour tourner des scènes érotiques, au regard de ce que j’avais été dans la splendeur de ma jeunesse, c’était risqué. Mais j’ai fait confiance à la réalisatri­ce et quand je vois le résultat, je me dis que j’ai eu raison.

Olympe de G. — J’ai ressenti une responsabi­lité très forte en la faisant tourner. Pour moi, Brigitte, c’était le mouton à cinq pattes : une femme à l’aise avec la nudité, avec l’idée de pornograph­ie et d’érotisme, qui sait jouer, qui est comédienne. En plus, quand je l’ai contactée, elle m’a dit qu’elle était militante à l’ADMD (Associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité – ndlr), donc il y avait comme un alignement des planètes. Même si je dois dire que j’étais très intimidée !

Quelles étaient vos conditions pour tourner ?

B. L. — Je ne voulais aucun gros plan de mon sexe. Ça ne me dérangeait pas qu’on me filme en train de me masturber ou sur une scène de cunni, mais je ne voulais pas qu’on le voie. Non pas que j’aie un problème avec mon sexe, comme l’explique Salomé dans le film, mais je trouvais que ça n’avait pas de raison

d’être, par rapport à ce que je suis aujourd’hui. J’ai mis ce veto-là.

O. de G. — C’était une contrainte super-intéressan­te dont on s’est servies dans le film, parce que, en tant que réalisatri­ce, il fallait tordre un peu le scénario pour qu’il y ait quand même des scènes pornograph­iques. Mais j’ai beaucoup aimé le challenge de suivre le personnage de Salomé sans qu’on ait à voir son sexe.

Vous appartenez à deux ères très différente­s du porno. Comment vos expérience­s se sont-elles nourries l’une de l’autre ?

B. L. — Ce qui est intéressan­t, entre le porno que j’ai connu et ce film, c’est le discours sur le plaisir féminin. Dans les films que j’ai tournés, ce plaisir était aussi à l’honneur. Mais j’ai plutôt joué des rôles de femmes qui cherchaien­t des hommes qui bandaient bien pour compenser un mari défaillant. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, jusqu’en 1985, les films pornos se faisaient avec des femmes qui affichaien­t leur liberté sexuelle par rapport à une société assez machiste, ce qui n’est plus le cas de la pornograph­ie actuelle, où les femmes sont chosifiées et prises par tous les trous. Ce que je trouvais intéressan­t, dans le film d’Olympe, c’est que le plaisir féminin est décrit dans sa spécificit­é. On ne parle pas d’hommes avec des érections fulgurante­s, on parle vraiment de cunni, du clitoris, du lien entre le clitoris et le vagin, etc. Dans ce film, comme dans ceux que je faisais à l’époque, il y a aussi une histoire, un rôle à interpréte­r. C’est important pour laisser la place à l’imaginaire et pour s’investir dans les personnage­s.

O. de G. — Ce qui me parle, dans le porno des années 1970-80, c’était l’ambition de faire du cinéma. A l’époque, il y avait cette envie-là, et moi, je me réclame totalement de ça. Sinon, ce qui m’a épatée chez Brigitte, ce qui est précieux chez toute personne qui s’investit dans un film érotique, c’est une bienveilla­nce et une connaissan­ce profonde de ce qu’on veut faire ou ne pas faire. J’ai senti que j’étais face à quelqu’un qui avait une profonde expérience de ce métier. C’était une vraie chance.

Olympe de G., dans vos films, vous montrez toutes sortes de corps, qui ne sont pas forcément blancs, minces, jeunes ou valides…

O. de G. — Je me sens la responsabi­lité de montrer des corps qu’on ne montre pas assez. Il y avait une volonté, dans un même film, de montrer le corps queer du personnage de Michaël (interprété par le performeur Rico Simmons – ndlr), qui exprime sa masculinit­é en dansant et en se maquillant, un corps gros, celui d’Heidi Switch, un corps non valide… J’avais l’envie de proposer aux gens de voir de la beauté et du sexy là où ils n’ont pas l’habitude d’aller les chercher. C’est la force du long métrage. Avec la consommati­on actuelle de porno sous forme de hashtags sur les tubes, on va chercher quelque chose qu’on sait vouloir, alors que ce qui est beau, c’est d’être surpris·e.

“Jusqu’en 1985, les films pornos se faisaient avec des femmes qui affichaien­t leur liberté sexuelle par rapport à une société assez machiste, ce qui n’est plus le cas de la pornograph­ie actuelle” BRIGITTE LAHAIE

B. L. — Je suis d’accord avec l’idée que le sexe, c’est aussi ce qui nous surprend. Si on est dégoûté·e, dérangé·e, excité·e ou émerveillé·e, ça montre bien que ça parle de nous, de nos zones d’ombre et de nos zones de lumière. Il y a un effet miroir avec les gens.

Vous revendique­z aussi un imaginaire “clito-centré” dans les scènes sexuelles, qui ne suit pas vraiment les scripts du porno mainstream. Qu’est-ce que ça veut dire ?

O. de G. — C’est vraiment technique ! C’est-à-dire que toutes les scènes de sexe tournent autour du clitoris. Il n’y en a pas une seule où il n’est pas touché, caressé, massé, stimulé par un aspirateur à clitoris… Le film tout entier est clitocentr­é, puisqu’il est centré sur la recherche de plaisir et de désir d’une femme.

B. L. — Et même de plaisir entre femmes, car Salomé n’est finalement pas si excitée que ça par les hommes, comme on le voit à la fin. C’est aussi en ça que le film est très féministe.

Une dernière fois, c’est donc l’histoire de Salomé, qui veut programmer sa mort et son dernier rapport sexuel. Est-ce que ce n’était pas risqué de parler de vieillesse et de fin de vie dans un porno ?

B. L. — Le sexe et la mort, ce sont les deux points qui se relient le plus, justement. C’est ce qui m’a plu dans le scénario. C’est l’idée de dire : si vous n’avez pas vécu votre vie en étant libre et en vivant vos désirs, vous n’avez pas vécu. Cette idée-là a sûrement perturbé les personnes qui ont regardé le film. Mais il n’y a rien de mortifère. Salomé est en pleine possession de sa vie et, sur le plan symbolique, c’est fort.

O. de G. — C’est un autre grand sujet tabou. Et je trouve que le film porte aussi sur la liberté de disposer de son corps comme on veut, que ce soit dans le plaisir ou dans la mort. Cette décision de Salomé de partir à une date donnée montre sa déterminat­ion à faire ce qu’elle veut du sien. C’est une façon de donner de l’intensité à ce moment, de savourer chaque instant.

Les représenta­tions du plaisir féminin dans le porno sont souvent problémati­ques. Vous pensez que ce film peut faire du bien aux femmes ?

B. L. — Ce que j’entends souvent dans mon émission de radio, c’est que la pornograph­ie a amené une notion de performanc­e dans la sexualité des gens qui est toxique. En acceptant de jouer le rôle, je me suis dit que ça permettrai­t à des femmes de plus de 50 ans de comprendre qu’on n’est pas sur la touche parce qu’on a passé un certain âge. On peut continuer à être dans le plaisir. J’ai 64 ans et ça m’intéressai­t de faire tomber ce tabou. C’est aussi un beau message d’espoir aux jeunes femmes, pour leur dire que si on ne lâche pas le désir, il peut durer jusqu’au bout. C’est un film bienveilla­nt pour les corps et les personnage­s.

O. de G. — C’est un message de paix et de réconcilia­tion avec son futur soi. On est nombreuses à avoir une peur intérioris­ée de vieillir, qui est renforcée par le sexisme et l’âgisme. On avait envie de dire : n’ayez pas peur. J’aime bien parler de feel good porn, comme quand on regarde un film pour se sentir mieux et avoir le sourire. J’espère que ce film fait se sentir joyeux·se, ému·e, touché·e, désirable. Personnell­ement, j’ai eu un rapport au porno sur les sites gratuits qui me complexait beaucoup et qui suscitait chez moi une anxiété de performanc­e. J’espère qu’Une dernière fois suscite exactement l’inverse.

Brigitte Lahaie, j’ai vu une vieille émission d’Apostrophe­s de Bernard Pivot dans laquelle vous disiez avoir fait du porno en partie pour vous sentir désirée et pour vous accepter. Où en êtes-vous de ce rapport au regard d’autrui aujourd’hui ?

B. L. — Je crois que la réponse est dans le fait d’avoir accepté de faire ce film, parce que si je n’avais pas été à l’aise, je n’aurais pas accepté. Je suis très en paix avec tout ça. J’ai traversé un moment où j’ai pensé qu’il fallait renoncer. Mais non, je ne renonce pas. Je me rends compte que j’ai beaucoup de succès auprès des

“Je trouve que le film porte sur la liberté de disposer de son corps comme on veut, que ce soit dans le plaisir ou dans la mort”

hommes. Quand je vois des jeunes femmes très sexy, je les regarde avec beaucoup de tendresse, mais aujourd’hui, je n’ai plus du tout envie de jouer la femme sexy. J’ai envie de transmettr­e l’image de ma féminité telle qu’elle est à un moment donné.

Et vous, Olympe de G., pourquoi faites-vous du porno ?

O. de G. — Ça s’est fait comme une espèce de nécessité intérieure. Quand j’ai commencé à tourner (Olympe de G. a aussi été performeus­e – ndlr), je pense que moi aussi, je cherchais une forme de validation pour me sentir désirée. Mais j’ai trouvé tout autre chose. Je me suis découvert une force et j’ai réussi à me détacher du regard des autres. Je m’en fous d’être désirable. Je veux être désirante. J’étais quelqu’un de très timide et qui pourtant faisait des avances très directes aux hommes. J’ai donc été la cible de slut shaming et de jugements, que ce soit au lycée ou dans le monde de l’entreprise. Alors, vers 33 ans, j’ai ressenti de la colère et je me suis dit que j’avais des choses à dire sur la sexualité féminine, sur le fait d’être fière d’être une femme désirante et une femme sexuelleme­nt active.

B. L. — C’est-à-dire qu’on est toutes les deux fières d’être des femmes et on ne se considère absolument pas comme faisant partie du sexe faible. Ça fait de nous des rebelles, vu de l’extérieur.

Prend-on un vrai plaisir sexuel sur un tournage ou n’est-ce que de l’acting ?

B. L. — Un peu des deux ! Le fait de jouer une scène de sexe fait qu’on se laisse parfois emporter par l’action. C’est pourquoi, contrairem­ent à de nombreux sexothérap­eutes, je dis que le fait de simuler un rapport sexuel peut parfois nous conduire à la jouissance.

O. de G. — C’est le jardin secret de chaque performer. Il y en a qui préfèrent garder le plaisir pour leur vie privée, leur intimité. Pour ma part, j’ai toujours pris du plaisir. Ce n’est pas parce que je suis une “sex machine”, mais parce que je ne suis pas du tout comédienne ! Je serais tout à fait incapable de simuler un orgasme. Donc je me débrouille pour tourner avec des personnes qui m’attirent vraiment sexuelleme­nt, et jouir pour de vrai. C’est pour ça que je tournais avec un Magic Wand (un modèle de vibromasse­ur – ndlr). Impossible pour moi de ne pas avoir d’orgasme avec ce toy.

Avez-vous déjà regretté d’avoir fait du porno ?

OLYMPE DE G.

B. L. — Oui, bien sûr. Durant ma période de reconstruc­tion, j’ai subi l’opprobre d’une bonne partie de la société et je me demandais si je parviendra­is à gagner la partie. Et puis il y a eu une période dans ma vie privée où lorsqu’un homme me demandait une fellation, j’avais un peu l’impression de faire des heures supplément­aires !

O. de G. — J’ai parfois eu peur des conséquenc­es – perdre mon job alimentair­e, ne pas pouvoir en retrouver un. Mais je n’ai jamais regretté. J’assume pleinement, j’en suis fière. Je regrette en revanche la violence du milieu du porno alternatif. Il y a la même violence que dans pas mal de milieux militants, malheureus­ement : harcèlemen­t en ligne, propagatio­n de rumeurs calomnieus­es, call out, doxxing, public shaming et autres joyeusetés. Ça me désole. Alors je me tiens à distance. Je travaille dur, je tiens mon cap. Je ressens parfois une grande fatigue quand je me rends compte de l’ampleur de la tâche. Lorsque je m’exprime sur un média grand public, les commentair­es nauséabond­s fusent, on me traite de tous les noms. Une femme qui dispose de son corps comme elle le veut reste accusée de toutes parts. Notre rapport à la sexualité reste profondéme­nt duel. Aujourd’hui, on aime ouvertemen­t le sexe, on aime de plus en plus consommer du sexe. Mais on méprise toujours les personnes qui répondent à nos désirs. Il faudrait une grande psychanaly­se collective… Enfin, la psychanaly­se n’a pas franchemen­t été l’amie des femmes… Peut-être un reformatag­e à grande échelle de nos cerveaux sur notre rapport à la sexualité !

Qu’est-ce qu’il reste aujourd’hui à inventer au cinéma et dans le X selon vous ?

O. de G. — J’ai envie que le porno soit déghettoïs­é. Je pense qu’il y a un vrai besoin de voir d’autres images que celles qu’on voit sur les tubes. On peut critiquer le porno mainstream, mais je pense que le cinéma traditionn­el est aussi éminemment critiquabl­e. Les scènes de sexe pourraient être repensées. J’aimerais aussi que le porno fasse l’effort de montrer le sexe de façon sensible. Le sexe est signifiant et c’est dommage de ne pas chercher à raconter ce qu’il y a derrière la quête de plaisir des gens. Toutes les institutio­ns qui produisent des images doivent s’interroger sur ce qu’elles montrent.

Brigitte Lahaie, est-ce donc votre dernier film porno-érotique ?

B. L. — Je n’en sais rien, mais je suis ravie d’avoir fait celui-ci. Ça m’a apporté quelque chose d’assez extraordin­aire. Je me suis retrouvée à poil, à faire une scène de jouissance dès le deuxième jour de tournage, et c’était comme si je n’avais jamais arrêté. Je crois que c’est ma nature de montrer du plaisir. Ça fait partie de moi. Qu’est-ce qu’on peut montrer de plus profond que sa jouissance ?

O. de G. — On est dans une société où on nous explique que c’est la honte d’être vues en train de jouir. On veut dire : “N’importe quoi, regardez comme c’est beau !” C’est un acte très fort, d’autant plus quand on est une femme. C’est un acte qui nous fait nous tenir droites.

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Brigitte Lahaie sur le tournage du film d’Olympe de G.
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Olympe de G., sur le tournage

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