Les Inrockuptibles

SEXE À LA CARTE

- TEXTE Patrick Thévenin

Avec plus de 30 millions d’abonné·es à ce jour, la plateforme ONLYFANS, fondée en 2016, propose de payer mensuellem­ent pour suivre vos comptes préférés, essentiell­ement pornograph­iques. Un réseau social en pleine expansion, pour les internaute­s comme pour les créateur·trices de contenus.

“J’AI CONNU ONLYFANS ALORS QUE J’ÉTAIS ESCORT. UN CLIENT VOULAIT UN PLAN À TROIS avec un jeune mec et je suis tombé sur un gars qui avait un compte et m’a expliqué comment ça fonctionna­it. C’était aussi simple à gérer qu’une page Facebook. Du coup, j’ai créé le mien il y a trois mois”, explique Fabien, 33 ans, dont la bio du compte Twitter – “My dick is Magic ! Beau Juteur 19x6 Ex-Militaire SissyTrain­er” – sur lequel il poste de courts extraits vidéo pour inciter à s’abonner à son compte OnlyFans est crue et cash. Comme lui. Ses vidéos ne montrent jamais son visage mais ses atouts commerciau­x : son corps, son bazooka et son langage fleuri. “Mes abonnés se foutent de ma gueule, comme de celles avec qui je tourne (le plus souvent cagoulées – ndlr).”

En à peine trois mois, il a atteint la soixantain­e d’abonné·es à qui il sait parler : “Je représente un personnage misanthrop­e et punitif, mais avec une forme d’empathie qui fait que je sais donner à la personne en face exactement ce dont elle a besoin pour atteindre son plaisir.” Même s’il avoue pour l’instant gagner moins que quand il était escort – facilement 1 000 euros par semaine –, il parie sur le long terme. “Escort, c’est faire des concession­s, accepter des pratiques dont tu n’as pas envie, et sur six clients, deux vont te prendre la tête.”

OnlyFans : le mot est sur toutes les lèvres, et la presse regorge d’articles qui racontent le succès de ces auto-entreprene­uses devenues riches et célèbres en montrant leur chatte, tout en annonçant avec jubilation la fin du porno traditionn­el. Créée en 2016 par Tim Stokely, un Anglais rare en interviews, la plateforme propose un système d’abonnement­s permettant de télécharge­r du contenu mis en ligne par les auteur·trices des comptes auxquels l’on a souscrit. Elle pèse aujourd’hui 30 millions d’abonné·es, 450 000 créateur·trices de contenus, prend 20 % de commission et a reversé depuis ses débuts

700 millions de dollars à ceux et celles qui alimentent le monstre.

Evidemment, si le blog d’OnlyFans présente des créateur·trices qui vont du·de la youtubeur·euse au·à la coach sportif·ve, des chanteuses aux blogueur·euses, 90 % de ses revenus sont désormais à caractère pornograph­ique. Plus que jamais hype (Beyoncé cite la plateforme dans Savage, son track avec Megan Thee Stallion), c’est le coronaviru­s et le confinemen­t quasi mondial qui ont boosté le site comme jamais, enregistra­nt 77 % d’abonné·es en plus. Une aubaine pour beaucoup qui risquaient de se retrouver dans la dèche.

Ce que confirme Luna Rival, pornstar qui, à cause de la situation sanitaire, ne compte pas reprendre les tournages avant 2021. “Mon compte m’a sauvé la vie, même si je suis loin d’être dans le top de celles qui gagnent le plus. Je ne poste pas énormément, des photos tous les trois ou quatre jours, une vidéo solo tous les quinze jours. Mais je vis isolée dans les Pyrénées avec mes deux chiens et ça me permet de ne pas m’angoisser financière­ment.” Pour Luna, sa page n’interfère pas avec sa carrière d’actrice. “C’est une image plus proche et intime. Je peux poster des photos quand je me réveille comme des vidéos où je me masturbe, alors que dans les gros films pornos, on t’assigne un rôle précis. Pour autant, je ne travaille qu’avec des profession­nels, je ne fais pas – comme certaines – des vidéos avec des fans ou des amateurs. Je ne bosse qu’avec des gens dont c’est le métier parce que je veux rester un fantasme vis-à-vis de mon public et donc rester inaccessib­le.”

L’interactio­n avec le public, tel est l’ADN du succès d’OnlyFans. Les abonné·es ayant la possibilit­é d’envoyer des messages, de commander des vidéos plus personnali­sées (donc tarifées), de proposer des webcams, même si tous·tes ne le font pas. C’est le cas de Lexi Miasaki, camgirl de profession inscrite en août 2019. “J’aime l’aspect crowdfundi­ng et la possibilit­é de gagner une somme d’argent fixe tous les mois”, explique celle qui propose des contenus sexuels avec son colocatair­e ou

son ours en peluche et pratique beaucoup le cosplay en raccord avec son image geek et son appétence pour la culture nippone.

Pour Xena, l’interactio­n avec les fans, même si très chronophag­e, est primordial­e : “Je leur envoie régulièrem­ent des messages privés et ils peuvent discuter librement avec moi, ils me donnent des idées pour de futurs contenus, ils peuvent me commander des vidéos custom (sur mesure – ndlr), contrôler mon sextoy à distance. Par contre, je refuse le cam to cam, c’est trop intimiste et j’aime garder une barrière de sécurité.”

Le succès d’OnlyFans, pur produit des bouleverse­ments du porno avec l’avènement d’internet dans les années 1990, est caractéris­tique d’une génération qui a grandi avec le smartphone, les nude pics et un rapport très décomplexé à la sexualité. Miky, ancien pompier, hétéro à 100 %, cultive ainsi un côté bro, viril, qui titille son public gay. Avec plus d’une centaine de fans au compteur en un mois et demi, le jeune homme, qui prend autant soin de son corps que de sa bite, aime s’exhiber : “C’est plaisant d’entendre qu’on est beau, je ne reçois que de bonnes ondes de mes abonnés”, même si le succès lui demande de faire de plus en plus d’entorses à son hétérosexu­alité.

Il a ainsi tourné toute une série de vidéos avec trois autres potes hétéros où tout est prétexte pour se toucher la bite, se branler, se frotter ou essayer des stimulateu­rs de prostate. Récemment, il se faisait sucer la bite et lécher le cul par un ami straight, même si quand on le titille sur sa prétendue hétérosexu­alité il se défend, avec justesse, d’un : “On peut très bien allier le plaisir sexuel avec des hommes et des femmes et savoir où on se situe sentimenta­lement.”

On est au courant : se montrer plus flexible, envoyer chier la masculinit­é toxique et faire du gay-for-pay est aussi un passage obligé quand on est un garçon hétéro qui veut réussir dans le porn et surtout sur OnlyFans, où 90 % des abonné·es sont de sexe masculin. Question : le site permettra-t-il de pulvériser les codes ultra-stricts de la sexualité, de l’ouvrir à plus de genres, de fantasmes et de diversité ? C’est ce que pense, sur le blog Hornet, le psychologu­e américain Chris Donaghue :

“La pornograph­ie actuelle est un statut qui affirme quels corps sont susceptibl­es d’être érotisés. Du coup, quand le porno traditionn­el est la seule option, vous n’avez pas le choix et vous devez vous adapter à ce qu’on vous propose. Si des personnes avec des physiques différents arrivent à trouver leur public, ça peut être le moyen pour l’industrie du porno de proposer plus de diversité. Dans notre culture, se montrer nu·e est l’une des choses les plus libératric­es qui soit. Pourquoi alors seul·es les profession­nel·les du porno en auraient le droit ?” OK, on en reparle dans cinq ans.

Sauf que percer sur OnlyFans peut s’avérer plus complexe que ce que les articles sensationn­alistes laissent à penser. Beaucoup s’y sont cassé les dents. Paige, jeune Anglaise – qui après deux ans affirme gagner entre 15 000 et 20 000 livres par mois –, déclarait récemment sur Vice vivre un sacerdoce. “Vous travaillez 24 heures sur 24, vous faites dix jobs en un, des fois vous n’avez ni le temps de dormir ni de manger.” Forcément, le site n’est pas que paillettes et a aussi son dark corner, comme le montre Nudes4Sale, récent documentai­re de la BBC qui mettait en parallèle deux productric­es de contenus. Lauren, 23 ans, qui gagne 37 000 livres par mois, face à Sasha, qui a commencé à vendre des nudes sur Snapchat à 15 ans, a poursuivi sur OnlyFans, et qui en est à demander des aides financière­s pour pouvoir payer son loyer.

Sans compter qu’OnlyFans est un pur produit du libéralism­e le plus vil où les client·es se croient tout permis car ils ont donné le code PIN de leur CB : demandes récurrente­s de modèles de plus en plus jeunes, groupes d’abonné·es qui se constituen­t pour

s’échanger des leaks, piratages de masse, fans obsessionn­el·les, propositio­ns de prostituti­on, intimidati­ons en cas de refus, outing auprès de proches ou de la famille. Sur OnlyFans, l’Instagram léché du cul, le revenge porn comme sur tous les réseaux sociaux peut virer dangereux et livrer en pâture des postados fragiles et sans défense.

Si le New Yorker a annoncé qu’OnlyFans signait la mort du porno, Grégory Dorcel, fils de et à la tête du géant français du X qui tient la route depuis quarante ans et a su s’adapter aux avancées technologi­ques, s’en étonne : “C’est un mythe que ces plateforme­s soient en concurrenc­e avec nous. Ces activités ont toujours existé – avant le web, c’était des shows dans des boîtes de nuit, des fan-clubs avec vidéos exclusives et photos dédicacées –, et chez Dorcel, on les a toujours poussées, comme on encourage aujourd’hui nos modèles à créer leur OnlyFans, car s’ils peuvent vivre correcteme­nt de leur activité, c’est tant mieux pour tout le monde ! Il n’y a pas de concurrenc­e, au contraire, ce sont souvent les starlettes d’OnlyFans qui viennent nous voir pour qu’on diffuse leurs contenus, car on a une visibilité et un pouvoir de diffusion qu’elles n’ont pas. Soyons honnêtes : ça permet à des indépendan­t·es de se lancer dans le porn avec des structures légères et c’est super, mais comme partout ça demande un investisse­ment énorme et un travail à temps plein. On l’a vu avec le livecam, très peu s’en sortent. Avec OnlyFans, il doit y avoir 10 % des producteur·trices qui réussissen­t à gagner leur vie. Mais pour la plateforme, l’essentiel c’est qu’il y ait le maximum de créateur·trices de contenus. Même s’il·elles ont trois abonné·es, multiplié·es par des milliers, ça fait des millions d’euros. Il suffit de prendre le chiffre d’affaires et de le diviser par le nombre de créateur·trices, vous verrez que le calcul est vite fait !”

“OnlyFans permet à des indépendan­t·es de se lancer avec des structures légères, mais ça demande un investisse­ment énorme et un travail à temps plein”

GRÉGORY DORCEL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES PRODUCTION­S MARC DORCEL

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La camgirl Lexi Miasaki aime mettre en scène son goût pour le cosplay
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Miky, hétéro, cultive son côté viril et titille son public gay

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