Les Inrockuptibles

Eva en août de Jonás Trueba

Le temps d’un été, une jeune comédienne déambule dans Madrid pour s’y réinventer. Une chronique délicate.

- Marilou Duponchel

DANS LE FOND, EVA N’A PAS TANT À VOIR AVEC DELPHINE (MARIE RIVIÈRE), héroïne magnifique et éplorée du Rayon vert d’Eric Rohmer. Les rumeurs prédisaien­t pourtant qu’elle en serait l’avatar actualisé et espagnol. Pour autant, le cinquième long métrage de Jonás Trueba, jusque-là inédit en France, jette très clairement des ponts vers le film de Rohmer, mais ils trouvent bien plus leur ancrage dans la structure

(la chronique estivale), dans la quête du récit et dans le dénouement (providenti­el), que dans l’étude de caractère de son personnage féminin.

Le cadre est hautement familier : nous voici en plein été en présence d’une jeune femme, comédienne “pudique” (et il ne s’agit pas ici d’un oxymore, tant le film a la couleur de ce sentiment) seule et un peu paumée. A l’inverse de Delphine, qui ne sait ni quoi faire de ses vacances ni comment mener sa vie et refuse tout en bloc, Eva, saisissant­e Itsaso Arana, centre de gravité, autant actrice que metteuse en scène infiltrée d’un film écrit à deux, décide, choisit et accueille à bras ouverts l’imprévu du hasard et la solitude.

Elle n’a jamais quitté Madrid, pourtant, c’est comme une touriste qu’elle s’y réinstalle, comme pour s’y réinventer le temps de la première quinzaine d’août, investissa­nt l’appartemen­t d’un ami niché au coeur des quartiers populaires de la vieille ville. C’est avec un charme infini et planant, un hédonisme de chaque instant dans

lequel on rêverait de se lover que le film collecte les péripéties quotidienn­es de son personnage (une rencontre avec une vieille connaissan­ce au musée, une autre avec un ex au cinéma et d’autres avec un florilège d’âmes-amies bienveilla­ntes croisées au détour d’une rue).

Il les égrène au compte-gouttes, comme de petits joyaux qu’il nous faut saisir pour apprivoise­r Eva, page blanche et pure présence, allégée de tout passé psychologi­sant.

Eva se laisse engouffrer dans un temps court et à la fois distendu, alourdi par la chaleur madrilène, le bruissemen­t de ses nuits de fêtes et de ses défilés religieux. Lorsqu’on la retrouve seule, rêveuse ou inquiète, assise dans un canapé ou dans un bus, c’est tout le mystère de son être qui irradie comme un ravissemen­t que les rayons du soleil changeant matérialis­ent, découpant son corps cinégéniqu­e à la recherche d’un indice.

A tâtons, le film finit alors par dévoiler son secret et celui de son héroïne, madone à la peau diaphane, habitée par un désir maternel grandissan­t. Après avoir accompli le “sauvetage” d’un homme, Eva est graciée. Le miracle a lieu. Il n’a pas les lueurs verdoyante­s d’un rayon rare, mais les traits d’une petite fille d’une dizaine d’années, prête à lui accorder sa confiance.

Eva en août de Jonás Trueba, avec Itsaso Arana, Vito Sanz, Isabelle Stoffel (Esp., 2019, 2 h 05). En salle le 5 août

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Itsaso Arana

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