Les Inrockuptibles

Light of My Life de Casey Affleck

- Jacky Goldberg

Un père et sa fille dans le monde d’après, une société où les femmes ont été décimées par un virus. Un film de survie écrit d’un point de vue féminin.

LA LITTÉRATUR­E ET LE CINÉMA POSTAPOCAL­YPTIQUES

SE SONT PRESQUE TOUJOURS PENSÉ·ES, depuis le roman séminal

Je suis une légende de Richard Matheson (1954), du point de vue du “dernier des hommes”. Ce n’est ainsi pas une moindre ironie que Casey Affleck, au coeur d’un scandale MeToo depuis son Oscar controvers­é en 2017, ait choisi avec ce film de renverser le postulat du genre pour se demander ce que serait la fin du monde du point de vue de la “dernière des femmes”.

Conçu avant le scandale – ce que tend à corroborer l’interview que nous avions faite de l’acteur-réalisateu­r début 2016, où il évoquait sa volonté de marcher jusqu’au Canada avec sa famille en cas d’apocalypse zombie –, Light of My Life n’est pas une opportune opération rédemption, mais un film sincèremen­t personnel, plus proche à vrai de dire de Gerry (qu’il avait coécrit avec Matt Damon avant de demander à Gus

Van Sant de le réaliser) que d’I’m Still Here (son film-canular avec Joaquin Phoenix, celui-là même qui lui a valu ses ennuis).

On y suit un père protégeant sa fille, à peine pubère, déguisée en garçon afin de ne pas attirer l’attention, étant l’une des rares survivante­s d’un virus ayant décimé la gent féminine. Dans une forêt septentrio­nale, aux abords d’une ville inhospital­ière, l’adulte et l’enfant tentent de survivre et d’échapper à la civilisati­on, qui n’a plus de civilisé que le nom. On pense beaucoup au récent et magnifique Leave No Trace de Debra Granik (qui figurait plutôt un monde préapocaly­ptique : le nôtre), ainsi qu’à La Route, It Comes at Night, Les Fils de l’homme ou

Sans un bruit. Tous ces films tournaient autour d’une même idée : lorsque les illusions de la Matrice sociétale sont tombées comme des peaux mortes, que reste-t-il ? La famille. Affleck ne s’en réjouit pas, il le constate simplement, sans d’ailleurs affirmer que c’est le seul mode de relation valable.

Contrairem­ent aux films précités, celui-ci ne s’inscrit cependant pas dans une démarche spectacula­ire ou horrifique. Casey Affleck déploie sa mise en scène avec simplicité et assurance, prend son temps et déroule son récit sans forcer, restant attentif à des détails concrets (par exemple, la méticulosi­té avec laquelle le père prépare ses issues de secours). Ce qui l’intéresse, c’est la façon dont le discours, et la fiction en particulie­r, fait tenir ensemble ce qui peut encore l’être dans une société décharnée.

Il commence ainsi son film par une longue histoire au coin du feu (de celles qu’il affectionn­ait déjà dans Gerry) : une variation toute personnell­e de l’Arche de Noé du point de vue de renards. Mais la jeune auditrice fait remarquer au narrateur qu’il tend à laisser de côté le personnage féminin pour se concentrer sur le masculin. La scène fait office de profession de foi : il s’agira pour la petite fille de reprendre possession de son histoire, d’en devenir elle-même la narratrice. Light of My Life est donc l’histoire d’un passage de relais, un film de marche et de parole, où les lumières de la fiction tentent d’éclairer un réel enténébré.

Light of My Life de Casey Affleck, avec lui-même, Anna Pniowsky, Elisabeth Moss (E.-U., 2019, 1 h 59). En salle le 12 août

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Casey Affleck et Anna Pniowsky

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