Les Inrockuptibles

The Climb de Michael Angelo Covino

- Jacky Goldberg

Une comédie virtuose très drôle autour d’une amitié masculine toxique filmée dans un enchaîneme­nt de plans-séquences.

À L’ORIGINE, UN BRILLANT COURT MÉTRAGE, PRIMÉ À SUNDANCE, FORMÉ D’UN SEUL PLAN-SÉQUENCE de huit minutes. Deux Américains y grimpent (climb) une côte, à vélo, dans les Alpes. L’un donne le tempo, l’autre est à la peine. Celui qui est derrière (Kyle Marvin, coauteur du film), explique au premier (Michael Angel Covino, qui est aussi le réalisateu­r) à quel point il est heureux d’épouser, dans quelques jours, sa fiancée française. Mike accélère alors et fait une confession (à bonne distance) à son meilleur ami Kyle : il a couché avec sa promise. Et bonne chance pour le rattraper.

De cette situation grotesque, idéale pour huit minutes, Covino et Marvin ont tiré les fils pour écrire un long métrage dont le court serait la première scène, en se donnant pour contrainte de n’enchaîner que des plans-séquences. Le genre d’idée qui, mal calibrée, peut vite tourner à la pantalonna­de prétentieu­se… Heureuseme­nt, loin de se complaire dans une posture de petits malins, le cinéaste et son compère ont réussi là une comédie réjouissan­te, non seulement très drôle, mais dont la virtuosité (quelque peu wes-andersonie­nne) n’est pas vaine.

Le geste rappelle celui de Thunder Road de Jim Cummings, né sous les mêmes auspices, entre Sundance et Cannes (où nous les avions découverts à un an d’écart, en 2018 et 2019), d’abord sous forme

d’un plan-séquence unique, puis d’un long (composé d’un nombre habituel de plans en revanche). Au-delà de ces coïncidenc­es formelles, les deux films partagent une même incandesce­nce burlesque comme politesse du désespoir et marchent sur la même ligne de crête, où la bravoure finit toujours par déborder le cynisme. Ils sont d’abord, et avant tout, des mises à nu.

Le sujet de The Climb, c’est évidemment l’amitié toxique entre deux hommes, Mike et Kyle, condamnés à rouler dans la roue l’un de l’autre, malgré les vacheries répétées. On ignore tout de la relation réelle des deux auteurs-acteurs

(on l’espère meilleure que celle de leurs personnage­s), mais le fait qu’ils aient gardé leurs vrais prénoms va dans le sens de l’autofictio­n, et donne à leur chassécroi­sé un sel supplément­aire.

Chaque séquence se déroule lors d’une célébratio­n familiale ou amicale (enterremen­t, mariage, soirée de Noël…) dont on sait à l’avance qu’elle va finir par s’effondrer sous le poids de ses propres convenance­s. Et, à travers ce dispositif, c’est surtout la rigidité d’un certain American way of life, réglé au millimètre (comme les plans-séquences donc), que raille Michael Angelo Covino. Coup d’essai, coup de maître.

The Climb de Michael Angelo Covino, avec lui-même, Kyle Marvin, Gayle Rankin (E.-U., 2019, 1 h 38). En salle le 29 juillet

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