Les Inrockuptibles

Abou Leila

D’Amin Sidi-Boumédiène

- Bruno Deruisseau

Paranoïa exacerbée et folie meurtrière : une traque dans le désert comme métaphore de la décennie noire algérienne, dans un premier film à la maîtrise impression­nante.

CE PREMIER FILM ALGÉRIEN, SÉLECTIONN­É À LA SEMAINE DE LA CRITIQUE l’an dernier, est un film historique, tout en étant tout sauf cela. En effet, Abou Leila a, à première vue, plus à voir avec le polar métaphysiq­ue, le road-movie halluciné et le western horrifique. Sa seule concession à l’histoire est son tout premier plan : un carton où il est simplement écrit, “Algérie 1994”. A cette époque, la guerre civile algérienne était à son apogée. Entre 60 000 et 150 000 personnes y ont trouvé la mort lors d’assassinat­s ou d’attentats. Une fourchette large qui dit la confusion et le climat de terreur qui ont régné dans le pays pendant toute une décennie.

On y suit deux mystérieux personnage­s, lancés à la poursuite d’un terroriste à travers le désert. Les raisons de cette traque éperdue ne nous seront révélées qu’à la fin. On avance dans le film à tâtons, un peu comme dans un film de David Lynch ou de Michelange­lo Antonioni. Amin Sidi-Boumédiène partage avec le premier le dépliage d’un monde flamboyant, où le rêve et la réalité

flottent dans le même bain, tandis qu’il rappelle le second par la précision de ses cadrages, sublimes, et la mise en scène de corps fatigués, en rupture avec le monde qui les entoure.

Comme eux, il confère à son film son propre espace-temps, en fait une réalité alternativ­e à déchiffrer, et ce avec une audace et une économie de moyens hallucinan­tes pour un premier long métrage. Ce que vise Amin Sidi-Boumédiène n’est pas le cours d’histoire mais la retranscri­ption du sentiment paranoïaqu­e et de l’incompréhe­nsible folie meurtrière qui ont marqué cette décennie noire.

Ce film mêlant affaire de terrorisme, histoire de monstre et traumas enfantins dessine avec une étonnante maturité de regard le portrait de l’ennemi intime qui a déchiré son pays dans les années 1990. Plus que prometteur, Abou Leila marque les débuts d’une oeuvre au potentiel immense.

Abou Leila d’Amin Sidi-Boumédiène, avec Slimane Benouari, Lyes Salem (Alg., Fr., 2019, 2 h 15)

En salle le 15 juillet

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Lyes Salem

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