Les Inrockuptibles

Thomas Flahaut ausculte le désarroi de la classe ouvrière

Après Ostwald, un premier roman social et postapocal­yptique remarqué, le jeune THOMAS FLAHAUT revient avec Les Nuits d’été, fiction dans laquelle il continue d’ausculter le désarroi de la classe ouvrière française.

- TEXTE Léonard Billot

Quel a été le point de départ de ces Nuits d’été ?

Thomas Flahaut — Les Nuits d’été a mis du temps à trouver une forme pour dire ce que ça a été, pour moi qui suis fils d’ouvriers, de travailler quelques mois de nuit, dans une usine du Jura bernois, parmi les frontalier­s. Il y a eu un long processus pour trouver quelle position j’occupe, du point de vue bourdieusi­en presque, et de déterminer mes représenta­tions et donc la fiction, la langue ; comment trouver alors un dispositif propre à atténuer cela, prévenir, indiquer d’où je parle.

Fraternité, rurbanité, désenchant­ement de la jeunesse et classe ouvrière : ces thèmes se retrouvent dans vos deux romans. Pourquoi et comment ces motifs travaillen­t-ils votre écriture ?

Ils me travaillen­t en tant qu’homme. Il y avait dans Ostwald (en 2017 – ndlr) quelque chose d’assez conceptuel peut-être, avec un programme poétique très contraint. A presque 30 ans, je voulais écrire sur les gens avec qui j’ai grandi et que j’ai perdus, mesurer l’écart qui s’est creusé entre nous, je voulais disséquer mon regard, la qualité et la dégradatio­n de mes souvenirs. Je voulais simplement parler de cet endroit et de ces gens, les aimer en écrivant.

En exergue du roman, vous citez une phrase de Robert Linhart : “Nous, une nuit invisible nous enveloppe.” Dans quel genre de nuit est enveloppée la classe ouvrière française aujourd’hui ?

C’est ce que tout le livre tente d’explorer. Peut-être est-elle plus que jamais reléguée dans les angles morts du monde.

Cette phrase à la fin, “Orchestrer la rencontre des mondes”, c’est l’enjeu de votre littératur­e ?

Ça a été un enjeu de ce livre, en tout cas, à une petite échelle, peut-être : je l’ai fait lire à mon père. Nous avons pu discuter des images, des sensations de l’atelier, et c’était un moment très fort. Le livre peut offrir ce type d’occasion. Je veux écrire des livres assez ouverts pour permettre cela.

Comment avez-vous vécu ces derniers mois de crise sanitaire ?

Mieux que mes amis devant travailler. J’ai terminé mon livre quelques jours avant le confinemen­t (qui, en Suisse, n’était pas aussi policier) et ma vie n’a pas changé. Aujourd’hui, comme tout le monde, je reste inquiet et fatigué. Mais les manifestat­ions antiracist­es, la combativit­é du mouvement social en général dès après le pic épidémique me donnent beaucoup de courage.

A la sortie d’Ostwald, vous déclariez avoir “peur de l’avenir dans la France de Macron”. Quel est votre sentiment aujourd’hui, trois ans plus tard ?

Que j’avais raison d’avoir peur.

Quelles décisions/directions voudriez-vous voir le pays prendre pour les prochaines années ?

En Suisse, où je vis actuelleme­nt, la politique est calme et feutrée, strictemen­t institutio­nnelle. Quelle que soit cette direction, il faudra qu’on en discute tous, d’une façon ou d’une autre. Je n’ai pas l’impression qu’on puisse faire cela de façon calme et feutrée, et c’est très bien.

Les Nuits d’été (Editions de l’Olivier), 224 p., 18 €. En librairie le 27 août

Extrait dans notre cahier complément­aire

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A Lausanne, en juillet

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