Les 40 romans, les essais et les BD de la rentrée
Parmi les 511 romans qui paraissent entre août et octobre, nombre d’auteur·trices s’imposent comme des voix très contemporaines, posant un regard acéré sur le monde d’aujourd’hui. Avec des découvertes passionnantes. Notre sélection des 40 titres à ne pas
Colson Whitehead NICKEL BOYS
(Albin Michel)
Déjà couronné d’un Pulitzer fiction en 2017 pour Underground Railroad, Colson Whitehead a doublé la mise en mai dernier grâce à Nickel Boys.
En romançant les drames d’une maison de correction qui pratiquait la ségrégation raciale et la torture à mort dans la Floride des années 1960, il intègre le cercle très fermé des doubles lauréats du prix aux côtés de Faulkner ou Updike. Puissant et politique, il donne un nouveau chapitre à son exploration du racisme et de la violence historique américaine.
Extrait dans notre cahier complémentaire
Eric Laurrent UNE FILLE DE RÊVE
(Flammarion)
On avait fait la connaissance de la jeune et jolie Nicole Sauxilange dans Un beau début (Les Editions de Minuit, 2016). Ce début recommence avec Une fille de rêve. Nicole, dite Nicky Soxy pour ses photographies de charme à la une du magazine Dreamgirls, connaît un tel succès qu’elle devient starlette publicitaire des années 1980 et abonnée “canaille” des plateaux de télévision. Une gloire de chiffon qui finira à la déchetterie médiatique. Eric Laurrent, gorgé d’un style baroque et ludique, métamorphose l’ordinaire en un conte de fées tutoyant le cauchemar.
Eshkol Nevo LA DERNIÈRE INTERVIEW
(Gallimard)
Qu’est-ce qu’un écrivain ? L’Israélien Eshkol Nevo répond à cette question et à beaucoup d’autres au fil d’un entretien à peine imaginaire entre des internautes et un romancier israélien à succès. Chaque question l’embarque vers une réponse digressive : sa compagne Dikla, ses enfants et son ami Ari, en train de mourir d’un cancer. L’écrivain se dit atteint de dysthymie, une déprime récurrente. De fait, il passe beaucoup de temps à se plaindre : sa vie est un échec et son oeuvre, un naufrage. N’était le contrepoison permanent d’un humour fou.
Lisa Taddeo TROIS FEMMES
(JC Lattès)
La journaliste américaine Lisa Taddeo a voulu en savoir plus sur le désir féminin. Elle a alors enquêté, rencontré des femmes, qui ont accepté de se confier à elle : Lina, femme au foyer qui se lance dans une aventure brûlante ; Sloane, une entrepreneure qui va prendre conscience des inégalités dans son couple ; et Maggie, une étudiante qui vit une histoire avec son prof d’anglais. Comment les femmes vivent le sexe, l’amour, la passion aujourd’hui. De la non-fiction au pays de l’intime.
Sandra Lucbert PERSONNE NE SORT LES FUSILS
(Seuil/Fiction & Cie)
A la suite d’une vague de suicides à France Télécom s’est tenu en 2019 le procès de sept de ses dirigeants accusés de maltraitance envers leurs salarié·es, ayant causé pour certain·es leur mort… Sandra Lucbert va suivre le procès, démonter le langage froid, technocratique, utilisé par cette société, première violence contre l’humain… Un texte salutaire.
Camille Laurens FILLE
(Gallimard)
Dans un texte qui sonne très autobiographique, Camille Laurens revisite sa vie par le prisme de “l’être fille” : ce que c’est, ce que les autres vous en renvoient, comment ils vous traitent, ce qu’ils vous infligent. Au coeur de ce texte, une scène terrible : l’abus sexuel dont la petite fille a été la victime avec le silence complice des femmes de sa famille.
Guillaume Poix LÀ D’OÙ JE VIENS A DISPARU
(Verticales/Gallimard)
Trois ans après un premier roman réussi, Les Fils conducteurs, Poix confirme sa capacité à transformer les grands sujets internationaux en matière littéraire. Son ingénieux texte choral croise les témoignages de personnages disséminés sur la planète, tous confrontés à des situations d’émigration et à des événements qui ont marqué notre mémoire collective. A travers ces voix incarnées et émouvantes, l’auteur fait émerger la vision très politique d’un monde où tous les destins sont liés.
Alice Zeniter COMME UN EMPIRE DANS UN EMPIRE
(Flammarion)
Trois ans après le très remarqué
L’Art de perdre sur la guerre d’Algérie et l’émigration vues et vécues par une famille de harkis, Alice Zeniter, 34 ans, situe son nouveau et quatrième roman dans la France d’aujourd’hui à travers les trajectoires en apparence opposées de deux jeunes gens. Une réussite.
Extrait dans notre cahier complémentaire. Lire entretien p. 30
Gisèle Halimi, avec Annick Cojean UNE FAROUCHE LIBERTÉ
(Grasset)
La grande Gisèle Halimi, avocate engagée, féministe, qui a toujours défendu la cause des femmes et des opprimé·es, disparue en juillet à 92 ans, avait déjà publié trois textes autobiographiques. Cet ultime livre qui revisite sa vie et ses combats, mené avec la journaliste Annick Cojean qui l’a longuement interviewée, est une lecture nécessaire.
Lire notre hommage p. 8
Emmanuel Carrère YOGA
(P.O.L)
Ça devait être un livre sur le yoga, dont l’auteur du Royaume (2014) est adepte, accessible et optimiste, sauf que Carrère a été rattrapé par ses anciens démons (lire L’Adversaire ou Un roman russe) et s’est retrouvé en grave dépression, jusqu’à être interné et subir des électrochocs. Comme toujours avec l’écrivain, l’intime devient universel, et les névroses n’empêchent pas de s’ouvrir aux autres – ici, les migrants. Comme rarement avec lui depuis vingt ans, la fiction va s’inviter, dans “l’exagération” de personnages… Ce sera, à coup sûr, l’un des livres-événements de la rentrée. Lire critique p. 84
Brit Bennett L’AUTRE MOITIÉ DE SOI
(Autrement)
Une petite ville de Louisiane à la fin de la ségrégation, peuplée d’ancien·nes esclaves métis, fier·ères de leur peau claire. Deux jumelles adolescentes décident de s’en échapper. L’une revient des années après, l’autre a disparu. S’est-elle fait passer pour une Blanche ? Dans ce roman ample, qui a parfois des allures de conte, l’autrice du Coeur battant de nos mères parvient, à partir de la question noire en Amérique, à construire un texte universel qui parle d’identité, d’appartenance et de loyauté.
Magyd Cherfi LA PART DU SARRASIN
(Actes Sud)
Le chanteur du groupe Zebda se souvient de ses débuts musicaux au milieu des années 1980. L’enfant de la cité d’urgence devenu étudiant doit se construire entre tiraillements identitaires, culpabilité, engagement politique et discriminations. Cherfi, dont c’est le quatrième livre après Ma part de Gaulois, maîtrise l’humour et l’art du portrait. Et quelques scènes édifiantes, comme lorsque le narrateur voit au journal télévisé Mitterrand recevant à l’Elysée les représentants de la Marche des Beurs.
Fatima Daas LA PETITE DERNIÈRE
(Notabilia/Les Editions Noir sur Blanc) C’est la révélation de la rentrée : à 25 ans, Fatima Daas signe un premier roman très contemporain et personnel sur la vie d’une jeune femme musulmane à Clichy-sous-Bois, qui se découvre homosexuelle, dans une famille et un milieu qui rejettent les homos. Comment se réinventer quand on est constamment le cul entre deux chaises ? Pourquoi faudrait-il choisir ? Du souffle, du punch, du panache, avec une vraie-fausse distance et l’élégance de l’intelligence pour évoquer ce qui fait mal. Le livre qu’on attendait depuis longtemps. Extrait dans notre cahier complémentaire. Lire entretien p. 20
Adrien Girault MONDE OUVERT
(Les Editions de l’Ogre)
Au milieu d’un paysage glacé, un entrepôt isolé où deux hommes se terrent. Ils sont militants d’une cause mystérieuse et sont chargés de surveiller un otage. Mais jusqu’à quand ? Ce deuxième roman, court et déroutant, utilise cette situation minimale pour observer les différentes étapes que traversent les deux personnages, tiraillés entre leur engagement politique et leur peur du lendemain, entre leur désir de se montrer dignes de la mission qu’on leur a confiée et leurs doutes quant à sa finalité.
Philippe Djian 2030
(Flammarion)
Un homme en pleine crise existentielle, un beau-frère ingérable, des femmes renversantes mais incompréhensibles, une ambiance électrique. Soit l’univers mythique de l’auteur d’Impardonnables mais transposé en 2030, alors que le monde traverse une catastrophe climatique inédite. Djian comme d’habitude échafaude un récit où les enjeux ne se révèlent que peu à peu, mais ici la folie et les remords qui rongent ses personnages se trouvent décuplés par l’urgence de la situation.