Les Inrockuptibles

Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine

Dans une France des zones grises, un trio se débat avec les technologi­es contempora­ines. Une comédie portée par l’épatante Blanche Gardin.

- Jean-Baptiste Morain

ÇA NE VA PAS TROP FORT POUR MARIE (BLANCHE GARDIN). Son mari est parti avec leur fils et elle cherche à le cacher à ses copains du lotissemen­t, Bertrand (Denis Podalydès) et Christine (Corinne Masiero). Il·elles se sont connu·es sur un rondpoint. Il·elles étaient Gilets jaunes. Auparavant, il·elles étaient voisin·es mais ne se connaissai­ent pas…

Marie n’a pas de boulot et plus d’argent. Elle picole sec et fait portnawak. Un soir, elle sort en boîte et, fine bourrée, elle couche avec un jeune homme (Vincent Lacoste, convaincan­t dans le rôle d’un salaud). Pendant leurs ébats, il tourne une sextape et, dès le lendemain, fait chanter Marie : si elle ne lui donne pas du fric, il balance la vidéo sur internet.

Or, Bertrand et Christine aussi ont des problèmes avec le numérique. La fille de Bertrand ne veut plus aller au collège parce qu’elle a été pourrie sur la toile par une amie, et Christine, chauffeuse de VTC, ne parvient pas à obtenir de bonnes notes de la part de sa clientèle malgré tous ses efforts. Alors, comme dans un conte, nos bras cassés donquichot­tesques décident de s’attaquer au data center californie­n qui détient leurs données, afin de les modifier.

Le nouveau Kervern-Delépine ne tranche pas véritablem­ent avec leur veine habituelle. Les amateur·trices des deux lascars ne seront pas déçu·es. On y fréquente une nouvelle fois ces zones indistinct­es de la géographie française (oui, la France est souvent très laide), qui se trouvent nulle part, une sorte de no man’s land entre la banlieue et la campagne qui n’a de vie que grâce à ses habitant·es, des êtres dépassés qui tentent de survivre dans un biotope hostile.

Mais il y a quelques éléments qui font que ce film-là (leur neuvième) est sans doute un peu plus tenu que les précédents, qui connaissai­ent parfois quelques passages à vide, des digression­s non pas inutiles mais un peu ratées. Ici, Kervern et Delépine ne lâchent pas leur morceau : c’est le mode de vie contempora­in, ses technologi­es absurdes, qui est leur cible, et ils tapent fort, sans pause, sans vergogne, sans peur d’en faire trop. C’est parfois un peu lourd ?

Oui, mais c’est drôle, très drôle parfois. Et l’on n’y sent pas une sorte de nostalgie un peu réactionna­ire. Il ne s’agit jamais de dire que “c’était mieux avant”.

Enfin, les acteurs et actrices sont tou·tes parfait·es. Avec même des caméos rigolos et souvent somptueux (Poelvoorde en livreur à vélo, Bouli Lanners, Houellebec­q, Vincent Dedienne, Yolande Moreau, Jackie Berroyer). Quant à Blanche Gardin, elle trouve ici un écrin parfait à son talent. Gardin n’est pas qu’une petite bonne femme statique derrière un micro, elle a un corps, elle sait en jouer, et s’intègre sans aucune difficulté, sans forcer, sans surjouer, au monde des deux Grolandais, comme si elle y avait toujours vécu. C’est l’une des bonnes nouvelles du film : Blanche Gardin, qui a déjà une bonne vingtaine de films à son actif (certes dans des rôles souvent petits), joue enfin dans la cour des grand·es.

Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine, avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero (Fr., Belg., 2020, 1 h 46)

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Corinne Masiero et Blanche Gardin

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