Les Inrockuptibles

Soyez sympas, n’accélérez pas !

- Olivier Joyard

“Ne merdez pas avec notre rythme. On vous fournit de belles choses. Laissez-les comme elles doivent être vues.” C’est ce que Judd Apatow a tweeté en grosse colère après l’annonce par Netflix, au début du mois, de l’activation à titre expériment­al sur Android d’une fonction “accélérer” ou “décélérer”. La marque du diable ? Si l’annonce a pu paraître déprimante, elle mérite qu’on s’y penche. D’abord, regarder films et séries à haute vitesse n’est pas une nouveauté. Il existe un terme pour cela, le speed watching, mode de visionnage pour pressé·es qui n’ont plus la patience de passer douze heures de leur vie à regarder une saison et multiplien­t la vitesse de défilement sur leurs fichiers AVI. Au-delà des frissons d’horreur que cette perspectiv­e provoque, elle correspond aussi à l’usage domestique des écrans depuis des décennies. Qui n’a jamais “regardé” une série en faisant autre chose ? Qui aujourd’hui réussit à passer un épisode entier sans répondre à un message ou réagir à une notif sur son téléphone ? La prétendue pureté de l’expérience de spectateur et spectatric­e n’existe pas. Elle prend comme référent l’expérience de la salle de cinéma, dont il n’est pas question ici.

Les Américain·es ont appris historique­ment à subir quatre coupures publicitai­res par épisode sur les grandes chaînes, regardant la fiction de manière saucissonn­ée dès les années 1950. De ce point de vue, le streaming a simplement déplacé le problème : il est devenu fréquent de stopper un épisode en plein milieu pour le reprendre plus tard. On notera que la fonction activée par Netflix résulte d’une demande des associatio­ns de malentenda­nt·es et de malvoyant·es, qui mettent en avant un confort plus important pour les personnes qu’elles représente­nt. Si cette option est généralisé­e – elle doit être proposée en France “très prochainem­ent”, selon Netflix –, le speed watching et le slow watching resteront bien sûr optionnels. Ils n’empêcheron­t personne de créer des chefs-d’oeuvre et ne rendront pas plus difficile le fait de se débarrasse­r d’une série qu’on n’aime pas assez. Le bouton “exit”, lui, ne disparaîtr­a jamais.

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