Les Inrockuptibles

Passeur d’Islande

Après Asta, l’Islandais JÓN KALMAN STEFÁNSSON signe Lumière d’été, puis vient la nuit. Une comédie humaine grand style, gorgée de lyrisme poétique et d’un humour plus noir que la nuit.

- Gérard Lefort

UNE FAMEUSE CITATION DE “MACBETH” POURRAIT SERVIR D’EXERGUE à Lumière d’été, puis vient la nuit, le nouveau roman de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson : “C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.” De bruit, de fureur et surtout de désirs dans un village maigrelet de l’ouest de l’Islande, dont la particular­ité consiste à n’en avoir aucune – et où une petite communauté fait prospérer en effet bien des idioties.

L’idiot en question, jeune directeur fringant de la Coopérativ­e agricole et de son Atelier de tricot, se réveille un matin la tête farcie de rêves articulés en latin. Comme il ne parle pas cette langue morte, identifiée par le médecin local, il file à Reykjavík pour s’y initier en cours accélérés. A son retour, il parle latin couramment et ses rêves seront désormais “comme un immense lac où une barque l’attendait sur le rivage”.

Davíð et Kjartan, employés feignasses de la Coopérativ­e, croient voir et entendre des choses bizarres dans un entrepôt qui de fait s’avérera construit sur l’équivalent islandais d’un cimetière indien. Agústa, employée à la poste, tue son temps en lisant le courrier qui ne lui est pas destiné. Ce qui fait qu’elle est au courant de tout, en jurant de ne le dire à personne. Mais comme elle a le silence bavard, tout le village est régulièrem­ent abreuvé de ses cancans. Quant à Kristín, une fermière, elle trouve, et son mari aussi, qu’elle est trop ronde.

Pour y remédier, elle s’adonne à des joggings quotidiens sur la lande, jusqu’à y rencontrer un voisin en chaleur avec qui elle va inventer une façon plus sexuelle de maîtriser sa surcharge pondérale.

Et ainsi de suite au fil d’une galerie de portraits d’autochtone­s, parfois hilarants, le plus souvent poissés et poisseux. Noir c’est noir, même en plein jour. Les familiers de Stefánsson et de son précédent roman à succès traduit en français, Asta, avanceront en terre connue, mais nimbée ici d’une couche supplément­aire de brouillard mélancoliq­ue. “Dans cent ans, nous reposerons au creux de la terre, il ne restera plus que des ossements et peut-être une vis en titane que le dentiste aura mise dans une dent de notre mâchoire supérieure pour que le plombage reste en place.”

Seul espoir à l’horizon quand la lassitude pèse, quand on est trop inquiet·ète que les fantômes de l’ennui vous visitent : appeler l’horloge parlante. “On entend une voix qui nous convainc que le temps est malgré tout à sa place, qu’il ne se laisse pas désarçonne­r si facilement et qu’on n’a donc aucune raison de désespérer.” Le temps et surtout l’espace.

Dans ce récit subreptice­ment politique situé à la fin de ces années 1990 où l’Islande va basculer dans la frénésie capitalist­e, il n’y a que l’immuabilit­é poétique des paysages qui résiste et encourage. Ainsi de Jónas qui, dès l’aube, arpente les collines et les tourbières : “Jónas est calme, comme s’il échappait à tous les fléaux qui nous tracassent, la vitesse, l’agitation, le fait qu’il nous faut une plus grande télé, un nouveau portable, il lui suffit de penser à la courbe de l’aile d’un oiseau pour être apaisé. Que devonsnous faire pour parvenir à une telle sérénité ?” La question est plus que jamais d’actualité.

Lumière d’été, puis vient la nuit (Grasset), traduit de l’islandais par Eric Boury, 320 p., 22,50 €. En librairie le 26 août

Extrait dans notre cahier complément­aire

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