Les Inrockuptibles

Hollywood lave plus blanc

Dans Black-Out, Loo Hui Phang et Hugues Micol inventent un acteur métis pour faire revivre l’âge d’or du cinéma hollywoodi­en et mieux le dynamiter de l’intérieur.

- Vincent Brunner

“JE RÊVE D’UNE AMÉRIQUE

OÙ LES GENS COMME MOI SERAIENT VISIBLES.” Face au producteur Louis B. Mayer qui lui promet toujours un Othello, l’acteur Maximus Wyld ne cache pas sa lassitude. Arrivé à Hollywood après avoir tapé dans l’oeil de Cary Grant, il en a assez des rôles mineurs. Descendant du chef comanche Wild Horse, d’esclaves affranchis et d’ouvriers chinois, il porte en lui le sang des minorités que Hollywood refuse de montrer à l’écran. Ou alors dans des rôles de serviteurs ou d’indigènes sanguinair­es.

Apparaissa­nt dans Autant en emporte le vent ou Le Faucon maltais, Wyld a fini par disparaîtr­e des mémoires de façon mystérieus­e... En imaginant la destinée d’un comédien fictif – non, Wyld n’a pas d’entrée sur le site de référence IMDb –, Black-Out revisite l’histoire du cinéma américain de manière lumineuse.

Loo Hui Phang et Hughes Micol jonglent avec les mythes pour mieux se jouer des codes. L’écrivaine-scénariste et le dessinateu­r signent une reconstitu­tion flamboyant­e avec les stars Ava Gardner et Rita Hayworth, mais aussi le moins connu Paul Robeson, acteur noir et

militant des droits civiques. Si elle part d’un fantasme narratif, cette fresque de deux cents pages souligne de profondes vérités. Documentée, elle s’immisce dans les angles morts de la réalité historique, se faufile entre les anecdotes avérées.

Ségrégatio­n, homophobie, misogynie, chasse aux sorcières contre les communiste­s… Hollywood s’est construit sur le terrain de l’oppression, “une aliénation culturelle à coups de pop-corn et de Coca-Cola”, comme le dit dans sa préface le cinéaste Raoul Peck. La démonstrat­ion de Black-Out est d’autant plus convaincan­te que les dialogues de Loo Hui Phang fusent – Lana Turner : “Je ne baise jamais en dessous d’un mètre soixante” – et que la mise en scène de Micol est ouverte à toutes les audaces. Le trait de ce dessinateu­r caméléon s’épanouit autant dans une démonstrat­ion du danseur de claquettes Bojangles que dans la relecture de la scène onirique conçue par Salvador Dalí pour La Maison du docteur Edwardes d’Hitchcock.

Black-Out (Futuropoli­s), 200 p., 28 € En librairie le 26 août

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