DES BULLES DE LIBERTÉ
De l’émotion, des obsessions, de l’anticipation… A ne pas rater, les DIX MEILLEURES BD DE LA RENTRÉE marquent des points tous azimuts.
Lewis Trondheim UN PEU D’AMOUR
(L’Association)
Récemment célébré par une rétrospective et une monographie, Lewis Trondheim aurait pu s’assagir. Au contraire, il redouble d’ardeur et croque nos travers avec toujours autant d’appétit. Si, en apparence, Un peu d’amour adopte un format classique, cet album de Lapinot constitue en réalité un stimulant exercice de style. Son histoire, Trondheim la raconte en alignant les strips de quelques cases. Gagman soignant ses chutes, il demeure, bien caché derrière son style animalier, un observateur féroce de notre époque.
Léonie Bischoff ANAÏS NIN – SUR LA MER DES MENSONGES
(Casterman)
Voici la biographie dessinée la plus habitée de la rentrée.
Ici, la dessinatrice Léonie Bischoff retrace le parcours d’Anaïs Nin, ses rencontres avec Henry et June Miller, ses aventures amoureuses, mais va au-delà du livre-hommage linéaire. Elle se projette dans la psyché et les fantasmes de l’écrivaine américaine, propices à de superbes métaphores graphiques qu’elle habille de couleurs stupéfiantes. Le sous-titre – Sur la mer des mensonges reflète bien sa démarche, à la fois très documentée et libre.
David L. Carlson et Landis Blair L’ACCIDENT DE CHASSE
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(Sonatine)
Enfant, Charlie Rizzo est confié à son père, Matt, aveugle depuis un accident de chasse. Enfin, c’est ce qu’il prétend, avant de dévoiler son passé de délinquant. Plongée dans le Chicago des années 1940, ce récit documentaire fascinant, recueilli par David L. Carlson, porté par le trait charbonneux et la mise en scène inventive de Landis Blair, a pour guest star Nathan Leopold, coresponsable du “crime du siècle” qui inspira
La Corde à Hitchcock. Mais c’est la littérature et L’Enfer de Dante qui sauveront Matt.
Travis Dandro MON PÈRE, CET ENFER
(Gallimard)
Un petit garçon, hilare, saute dans une piscine et retrouve Dave, cet homme sympathique qui s’occupe de lui chaque week-end et s’avère son père biologique. Un jour, étonné, il le surprend avec une seringue dans le bras. L’Américain Travis Dandro se livre ici à une émouvante thérapie, racontant sans juger comment, enfant, il a soudain basculé dans le monde, noir et inquiétant, des adultes. Un premier roman graphique poignant, servi par un dessin en noir et blanc d’une expressivité crue.
Derf Backderf
KENT STATE – QUATRE MORTS DANS L’OHIO (Çà et là)
4 mai 1970. La Garde nationale intervient sur le campus de Kent, Ohio, et la manifestation d’étudiants vire au drame. Quatre personnes sont tuées par balles, neuf autres blessées. Spécialiste de la BD documentaire engagée, Derf Backderf retrace avec empathie et opiniâtreté les circonstances qui ont mené à cette barbarie, en premier lieu la paranoïa du gouverneur. Terribles, les dernières pages de cette BD choc reconstituent avec précision la fusillade qui, en une dizaine de secondes, a changé l’histoire américaine.
Mathieu Bablet CARBONE & SILICIUM
(Ankama)
Dans un laboratoire de la Silicon Valley, la professeure Noriko Ito conçoit deux androïdes capables de prendre des initiatives et même de transgresser les règles auxquelles ils sont soumis. Quatre ans après Shangri-la, Mathieu Bablet signe une impressionnante oeuvre d’anticipation courant sur plusieurs siècles. A la fois réflexion sur les intelligences artificielles, le transhumanisme et l’écoulement du temps, Carbone & Silicium est un tour de force visuel et philosophique célébré par une postface d’Alain Damasio.
François Boucq et Jerome Charyn NEW YORK CANNIBALS
(Le Lombard)
1990. Azami Tanaka, policière à New York, découvre un bébé dans une poubelle. Au même moment, le tatoueur Pavel croise un fantôme, une femme qu’il a aimée lors de son emprisonnement au goulag. Quand le romancier Jerome Charyn et le dessinateur François Boucq s’associent (pour la quatrième fois en trente-quatre ans), c’est souvent pour raconter les marginaux, les ruelles insalubres et les trafics violents. Polar sanglant célébrant la puissance magique du dessin, New York Cannibals est une bande dessinée prenante et dérangeante.
Cy RADIUM GIRLS
(Glénat)
Elles s’appelaient Katherine, Mollie ou Edna. En 1918, ces ouvrières américaines peignaient des cadrans de montres, plongeant leur pinceau dans une substance dangereuse empreinte de radium. Avec beaucoup de sensibilité dans son trait au crayon de couleur, la dessinatrice Cy s’empare d’un scandale du XXe siècle. Si elle expose le sort inhumain réservé – par des hommes – à ces Radium Girls, c’est après les avoir montrées pleines de vie et de rêves, partageant la même sororité. La fin n’en est que plus dramatique.
Pierre-Henry Gomont LA FUITE DU CERVEAU
(Dargaud)
En 1978, le journaliste Steven Levy fait cette découverte improbable : depuis la mort d’Albert Einstein en 1955, le pathologiste Thomas Stoltz Harvey a conservé le cerveau du physicien qu’il a dérobé après avoir procédé à son autopsie vingt-trois ans plus tôt. A partir de cet épisode incroyable, Pierre-Henry Gomont a imaginé un récit enlevé, prenant des libertés avec la réalité historique pour mieux en exploiter le potentiel humoristique. La Fuite du cerveau tient ainsi autant du récit d’espionnage que de la farce.
Lucas Harari LA DERNIÈRE ROSE DE L’ÉTÉ
(Sarbacane)
Trente ans après la disparition d’Yves Chaland, on tient certainement son héritier le plus crédible. Avec une personnalité artistique déjà affirmée et un sens de la narration virtuose, Lucas Harari s’approprie la ligne claire de son aîné. Ici, entre Sagan et Hitchcock, il bâtit un thriller sensuel et tendu où l’on suit un apprenti écrivain parti sur la Côte. Séduisant grâce à des cases belles comme des tableaux, le farniente estival n’est ici qu’un trompe-l’oeil, contenant à peine désirs et pulsions de meurtre.