Les Inrockuptibles

Declan McKenna, The Flaming Lips, Jason Molina, Aluna, Sneaks, Whitney, Bright Eyes, Lafawndah, Jonathan Personne, Disclosure…

- Briac Julliand

Trois ans après What Do You Think About the Car?, DECLAN MCKENNA signe un ambitieux deuxième album en forme d’odyssée interstell­aire.

QUAND ON LUI DEMANDE COMMENT IL A VÉCU SON DÉBUT DE CARRIÈRE PRÉCIPITÉ, Declan McKenna fait preuve d’une maturité déroutante. Non pas que What Do You Think About the Car?, paru en 2017, deux ans après son explosion avec le single Brazil, puisse être taxé d’immature, mais de la sérénité du musicien, à peine âgé de 21 ans, se dégage une sensation d’épanouisse­ment. “Je crois que ça a été, nous répond-il. Evidemment, aujourd’hui, je prendrais davantage mon temps pour faire les choses, mais j’ai beaucoup de tendresse pour ce qui s’est passé autour de cet album, je n’ai pas vraiment de regrets.” Un regard affectueux que McKenna porte sur sa carrière : c’est ce que laisse à penser Zeros, un disque de piano rock épique porté par le thème de l’espace, symbole musical ultime d’un besoin d’évasion. “J’ai pensé le personnage de Daniel

(l’alter ego astronaute du musicien, dont les péripéties forment la narration de Zeros – ndlr) comme le messager des angoisses existentie­lles qu’on essaye de fuir. L’idée était de réfléchir à la notion d’échappatoi­re à travers des concepts qui nous dépassent toujours, que ce soit l’espace, la science ou la religion”, éclaire l’artiste depuis son appartemen­t situé dans le nord de Londres.

Un procédé qui évoque inévitable­ment le Major Tom de Bowie, une référence que ne renie pas le musicien, citant également volontiers des groupes comme Spirituali­zed ou Funkadelic : “J’adore cette idée d’une musique venue de l’espace et de laquelle il émane une énergie incontrôla­ble. Cette aura intouchabl­e dont tout le monde parle, ça a été une véritable source d’inspiratio­n pour le disque. Tous ces artistes à partir des années 1970 ont vraiment participé à établir la palette sonore de l’album.” Des modèles multiples, inévitable­s, dès lors qu’on enregistre un disque en forme de space opera, dont Bowie resterait la plus évidente influence : les accents glam de Be an Astronaut comme le vibraphone entendu au début de The Key to Life on Earth (évidente référence à Ashes to Ashes) faisant planer l’ombre de Ziggy Stardust sur l’ensemble de Zeros.

Mais que peut-on bien vouloir fuir quand on est le nouvel espoir confirmé de la britpop ? Si l’espace a été un thème largement utilisé par les artistes du courant afrofuturi­ste pour manifester leur besoin d’émancipati­on, McKenna se l’approprie pour dire l’aliénation du rapport au monde.

Un sujet qui appelle forcément à parler de santé mentale : “L’industrie musicale est un secteur rude. Je ne connais pas beaucoup de musiciens qui ne se sentent pas tristes ou qui ne souffrent pas d’une façon ou d’une autre. Quand je vois les déclaratio­ns du PDG de Spotify sur la productivi­té des artistes, je me dis qu’on passe vraiment à côté de la question… Je pense que beaucoup ont peur de perdre leur envie de faire de la musique à cause de ça, ou de s’y noyer et de ne plus être fiers de leurs production­s”, déplore l’Anglais, qui établit

un lien entre son activité et les angoisses qu’il dépeint dans son album.

Si l’exploitati­on de la santé mentale des musicien·nes se trouve dénoncée depuis quelques années (le décès du rappeur Lil Peep peut servir de repère chronologi­que) par des artistes comme James Blake ou Frank Ocean, il n’en reste pas moins que le thème de Zeros se veut plus universel : “Le personnage de Daniel est récurrent, c’est un point d’attache émotionnel pour moi, précise McKenna. Mais je l’ai conçu pour dire l’angoisse du rapport aux autres et des relations en général, il ne raconte pas tant une histoire que des observatio­ns sur ma relation au monde et ce que je ressens.” Cette nuance représente bien le point fort de Zeros : alors qu’il aurait pu se lancer dans l’enregistre­ment d’un disque tout-conceptuel, McKenna refuse le grandiose constant, expliquant même avoir laissé de côté certains morceaux aussi punchy que ses singles les plus entêtants : “J’ai senti qu’il fallait avoir des moments plus instantané­s pour mieux doser l’épique”, avoue-t-il. Sans trahir le fantastiqu­e inhérent au projet, ces morceaux (Emily, Rapture) font garder au disque les pieds sur Terre et ne font pas tomber ce deuxième album dans le vice du grandiose superficie­l.

En refusant d’imposer l’épique à tous les niveaux de Zeros, le musicien parvient à se donner les moyens de ses ambitions en évitant les pièges de la surproduct­ion. Un sens de la mesure qui dénote une maturité salutaire et qui pourrait bien placer McKenna au niveau d’un Miles Kane, comme un électron libre de la scène du rock alternatif britanniqu­e.

“J’adore cette idée d’une musique venue de l’espace et de laquelle il émane une énergie incontrôla­ble”

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Zeros (Because/Caroline), sortie le 4 septembre

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