Les Inrockuptibles

“Joy Division fera toujours partie de moi”

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Révélé en 2012 avec le tube La Forêt, Lescop s’est rapidement posé en fils spirituel d’Etienne Daho (pour la voix claire) et de Ian Curtis (pour la danse saccadée). Marqué au fer rouge par Joy Division, le quadragéna­ire Mathieu Peudupin raconte son rapport intime au groupe mancunien.

Quarante ans après le suicide de Ian Curtis, comment expliques-tu que le mythe Joy Division soit toujours intact ?

C’est normal car Ian Curtis est le premier d’une typologie de chanteurs comme il n’y en avait pas eu avant lui, à la manière d’Elvis Presley ou de Jim Morrison dans d’autres registres. En tant que grand fan des Doors, je considère d’ailleurs Ian Curtis comme la version européenne, froide et bétonnée de Jim Morrison. Comme ce dernier, Ian Curtis a apporté des références littéraire­s telles que William Burroughs ou les poètes beat dans la musique de Joy Division. Le nom du groupe vient d’ailleurs d’un livre étrange de Ka-Tzetnik 135633. Je pense qu’il fantasmait autre chose que ce qu’il est devenu malgré lui, il se rêvait davantage en little Joe ou en Lou (Reed) comme il l’a écrit dans un poème pour sa femme Debbie. C’est aussi la particular­ité du mythe de Ian Curtis. Avec le temps, il symbolise un archétype, une icône et il fut un point d’ancrage dans ma culture musicale. C’était mon héros lorsque j’étais un petit punk de 16 ans.

C’est à travers une chanson ou un album en particulie­r que tu as plongé dans l’univers de Joy Division ?

Le premier titre que j’ai entendu, c’est Warsaw par l’intermédia­ire d’un pote un peu plus âgé qui lisait Les Inrockupti­bles et qui l’avait passé dans une fête. Ce morceau de rock à guitares au son métallique m’avait aussitôt interloqué, même s’il n’est pas très représenta­tif du son qu’on connaît de Joy Division. A l’époque d’avant internet, il y avait plein de rumeurs qui couraient sur le groupe et notamment sur la personnali­té ambiguë de Ian Curtis. Ce qui rajoutait un peu de danger, de mystère. Puis j’ai acheté la compilatio­n Substance (1988), en découvrant She’s Lost Control et surtout Love Will Tear Us Apart, dont le format pop était aux antipodes de Warsaw. C’est par ces deux extrémités punk et pop que j’ai compris la complexité de Joy Division. Je garde une préférence pour leur premier album, Unknown Pleasures (1979), mais j’adore la chanson Isolation sur Closer (1980).

Qu’avais-tu pensé du biopic réalisé par Anton Corbijn, Control (2007) ?

C’est rare que les biopics soient aussi convaincan­ts musicaleme­nt parlant. Car souvent, quand les acteurs font semblant de chanter ou de jouer en studio ou sur scène, on n’y croit pas trop. Anton Corbijn a évité les pièges habituels, sans chercher à être grand public. Sans trop ressembler physiqueme­nt à Ian Curtis, l’acteur Sam Riley est excellent dans le film. Pas comme Val Kilmer dans The Doors (1991) d’Oliver Stone, qui fait un Jim Morrison plus vrai que nature, ce qui est à la fois épatant mais aussi un peu chiant, non ?

Continues-tu toujours d’écouter Joy Division ?

J’y reviens régulièrem­ent, comme un bouquin que je connais par coeur et dont je relis parfois certaines pages. Parce que je sais qu’il y a une partie de moi contenue dans certains albums ou livres. Joy Division fera toujours partie de moi. A la sortie de mon premier album en 2012 et à l’invitation des Inrocks, j’ai eu la chance d’aller pour la première fois à Manchester et de marcher sur les traces de Ian Curtis, en empruntant notamment le pont piétonnier qui enjambe Princess Road où Kevin Cummins a immortalis­é le groupe en 1979. Cela reste un merveilleu­x souvenir. A l’époque, je ne pouvais pas répondre à une interview sans qu’on me parle de Ian Curtis. Et même si j’ai passé mon temps à m’en défendre, Joy Division faisait partie des toutes premières inspiratio­ns de Lescop. Cela étant, je ne chante absolument pas comme Ian Curtis comme j’ai pu l’entendre dire souvent, lui qui possédait une voix virile et puissante, et moi plus fluette. On entend davantage sa colère que sa fragilité dans son chant. Et je n’ai pas non plus cherché à calquer sa manière de danser, ça, ce sont des conneries. En revanche, je sais imiter Mick Jagger à la perfection ! Mais j’avoue qu’on m’a rapporté qu’Annik Honoré (légendaire maîtresse belge de Ian Curtis – ndlr) était venue me voir en concert à Bruxelles, et qu’elle n’avait pas pu rester dans la salle en me voyant sur scène. Elle se sentait mal, m’a-t-on dit. Mais on a échangé un peu après le concert et elle ne m’a pas parlé de ça. A mon avis, ce qui a tué Ian Curtis, c’est qu’il est devenu un entertaine­r malgré lui, en raison de son épilepsie qui l’empêchait de se produire normalemen­t en live. Je pense qu’il était heureux quand il écrivait et malheureux sur scène. Moi, c’est tout le contraire.

Propos recueillis par Franck Vergeade

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Lescop

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