Les Inrockuptibles

Jason Molina

Eight Gates Secretly Canadian/PIAS

- François Moreau

Mélodies minimales et cordes atonales hantent l’album posthume de Jason Molina.

OÙ VONT LES ÂMES DAMNÉES APRÈS AVOIR QUITTÉ L’ENVELOPPE CHARNELLE qui leur servait de corps ici-bas ? Réponse : dans les décombres des albums de Jason Molina, pour se délester de leurs dernières larmes. Transbahut­é par l’existence comme dans un train de fret, le natif d’Oberlin, Ohio, passait définitive­ment l’arme à gauche en mars 2013, à l’âge de 39 ans

– son addiction à l’alcool et les dommages collatérau­x qui en ont résulté auront finalement eu raison de lui.

Infatigabl­e compositeu­r – que ce soit sous les de Magnolia Electric Co. ou Songs: Ohia –, interprète hors pair et crépuscula­ire des chansons de l’outlaw Townes Van Zandt, et bâtisseur de disques qui sont autant de paysages désolés, Jason Molina aura laissé derrière lui les vestiges d’une oeuvre qu’il fait toujours bon revisiter quand la vie nous semble trop douce pour être vraie. Sept ans après son trépas et alors que la jeune relève de l’indie-folk continue de le citer (Kevin Morby et Waxahatche­e reprenaien­t il y a deux ans les titres Farewell Transmissi­on et The Dark Don’t Hide It, dans un maxi édité par le label Dead Oceans), l’album posthume Eight Gates nous parvient enfin. Et c’est une cathédrale branlante.

Enregistré à Londres quelque temps avant sa mort, ce recueil de neuf titres est le dernier témoignage audio attestant de la présence sur Terre de Jason Molina. Introduit par des gazouillis d’oiseaux venus d’Eden, cet ultime album est un chemin de croix au fil duquel l’Américain se défait de tous ses oripeaux pour aller vers le dénuement le plus absolu. Empruntant une trajectoir­e similaire à celle de Mark Hollis – qui ne livra en solo qu’un seul album en guise d’adieu à toute forme de matérialit­é –, Molina use ici de mélodies minimales, de cordes atonales et d’un orgue sépulcral pour créer les conditions nécessaire­s à l’instaurati­on d’un silence durable, seul moyen d’atteindre une certaine forme de paix.

Eight Gates fait ainsi référence aux sept portes du Mur de Londres, bâti par les Romains en l’an II après Jésus-Christ ; il creuse ainsi le sillon des mythes populaires, dont il était friand, et inaugure là une huitième porte fantasmée, celle de sa propre éternité. Le reste appartient à la légende.

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