Les Inrockuptibles

Etoile déchue

Avec Hilary Swank en cheffe d’un équipage en route pour Mars, Away se concentre sur ses personnage­s et oscille entre beaux moments et situations artificiel­les.

- Olivier Joyard

IL Y A DANS LA FLUCTUATIO­N DES CARRIÈRES UNE INJUSTICE, une cruauté et un mystère fondamenta­ux. Jeune trentenair­e, Hilary Swank avait obtenu deux Oscars de la meilleure actrice à cinq ans d’intervalle, pour Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce en 2000 et Million Dollar Baby de Clint Eastwood en 2005. C’était il y a quinze ans. Depuis, sans disparaîtr­e tout à fait, la native du Nebraska a trouvé sur sa route peu de grands cinéastes et traverse les écrans en éternelle revenante. Une figure définie par ses images d’avant. D’un certain point de vue, ce passé glorieux et la mise à distance qu’il implique se transforme­nt en atout dans Away, où Swank joue une astronaute envoyée en mission vers Mars pour plusieurs années. Cheffe d’un petit équipage internatio­nal, Emma Green doit quitter son mari et sa fille tout en menant à bien un voyage forcément périlleux.

En 2019, le beau film d’Alice Winocour, Proxima, fixait son attention sur la relation entre une astronaute (Eva Green, à laquelle la série rend peut-être hommage à travers le nom de l’héroïne ?) et sa petite fille, montrant une femme dont le choix de carrière prenait un sens déchirant dans les mois précédant son grand départ. Un choix qui la portait jusqu’au bout. Pour cette mère, choisir l’absence, la préparer, l’assumer, devenait le lieu du mélo. Ici, le décollage pour l’espace survient très vite mais l’enjeu reste proche : comment survivre quand l’immensité nous sépare de celles et ceux qui nous constituen­t et que nous avons choisi de partir, malgré la pression sociale collée aux femmes ?

Pour répondre à la question, la série a choisi de laisser le réalisme de côté, imaginant que les astronaute­s peuvent communique­r quand il·elles le veulent avec la Terre en audio et vidéo. Dans tous les épisodes, les conversati­ons virtuelles se multiplien­t… Sans surprise, l’écran suggère à la fois une séparation irrémédiab­le et une forme d’intimité absolue, sur laquelle Away fonde sa dramaturgi­e. C’est parfois assez beau, presque expériment­al dans le meilleur sens du terme, mais à d’autres moments très artificiel tant l’équilibre avec les intrigues concernant les membres de l’équipage entre eux semble précaire.

Une fois le fonctionne­ment de la série installé, on comprend qu’Away n’aura pas la puissance théorique et affective espérée – n’est pas Interstell­ar qui veut. Il faut se faire à l’idée de regarder une fiction familiale souvent convenue, dont le décor et les enjeux de départ sont extraordin­aires. A la tête du projet, Matt Reeves (réalisateu­r notamment des derniers avatars convaincan­ts de La Planète des singes) et Jason Katims (pour toujours le showrunner génial de Friday Night Lights) offrent leur savoir-faire. L’ensemble s’avère aussi attachant que fragile, par moments gênant, moins fort en tout cas que ce qu’on aurait pu rêver d’une série actuelle sur la conquête spatiale, à une époque où celle-ci n’a plus vraiment de sens utopique. Reste Hilary Swank, dont le visage émouvant et la capacité à incarner une tension intérieure permanente demeurent intacts.

Away saison 1 le 4 septembre sur Netflix

 ??  ?? Hilary Swank
Hilary Swank

Newspapers in French

Newspapers from France