Les Inrockuptibles

L’oiseau rare

Les nouvelles pérégrinat­ions de Jean Rolin révèlent la beauté cachée d’un pont oublié et de ses environs.

- Yann Perreau

ON L’AVAIT LAISSÉ AU MOYENORIEN­T, ARPENTANT UN CHÂTEAU FORT SYRIEN dans le formidable Crac. Jean Rolin est de retour sur ses terres de prédilecti­on, ce gigantesqu­e no man’s land que forment les alentours de Paris, immortalis­é notamment dans son splendide La Clôture (2001). C’est le pont de Bezons qu’il explore dans ce récit, les berges de la Seine avoisinant­es, entre Melun et Mantes. En partant, comme toujours, de presque rien, l’écrivain tire des fils et révèle des merveilles insoupçonn­ées, là où personne ne regarde.

Parce qu’une usine pollue la vue, que des types en gilets fluo jettent aux ordures les restes d’un camp de migrants ; parce qu’on se détourne, par réflexe, de ce territoire délaissé, qu’on aperçoit par mégarde depuis le RER. Lui s’y perd, y déniche des pépites. “Au moment précis, écrit-il, où j’exprimais ainsi, avec véhémence, mon pessimisme, et ma coupable nostalgie d’un passé nécessaire­ment ‘fantasmé’, une alouette s’éleva à la verticale au-dessus du champ situé sur la gauche de la route, lançant ces fameux trilles.” Un “miracle”, note-t-il, au regard de l’extinction ici, comme partout ailleurs, de diverses espèces d’oiseaux pour lesquels il a

toujours nourri une affection particuliè­re et qu’il recherche en ces lieux, motif inavoué mais obstiné de ses pérégrinat­ions.

Mine de rien, sans trémolo, il est ainsi devenu l’un des lanceurs d’alerte les plus farouches, qui relate livre après livre la disparitio­n d’espèces oiselières.

Lire Jean Rolin, c’est aussi monter dans une machine à remonter le temps. Au détour d’un pont, d’une bifurcatio­n, une référence aux impression­nistes, à Maupassant, à telle page oubliée du passé, vient donner à un élément anodin de la topographi­e qu’il parcourt une profondeur insoupçonn­ée. Jusqu’à ce que surgisse, au paragraphe d’après, quelque chose d’inattendu sur sa route. Ces poupées d’envoûtemen­t échouées au bas d’un canal, qu’il remettra avec l’aide d’un compagnon de route, “Celui des ours”, à l’eau. A chaque nouveau livre, Jean Rolin devient un peu plus ce monument de la littératur­e française. L’univers qu’il dessine, entre le banal et l’extraordin­aire, le présent et le passé, n’a d’équivalent que celui du monstre sacré des lettres germanique­s, W.G. Sebald.

Le Pont de Bezons (P.O.L), 240 p., 19 €

 ??  ?? à Paris en juillet
à Paris en juillet
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France