Les Inrockuptibles

Guerre et paix

Pour sa première bande dessinée traduite en France, la dessinatri­ce russe OLGA LAVRENTIEV­A s’empare avec brio des souvenirs de sa grand-mère.

- Vincent Brunner

“MAUS” D’ART SPIEGELMAN, “MOI, RENÉ TARDI, PRISONNIER DE GUERRE AU STALAG II-B” DE TARDI (Jacques), Goražde de Joe Sacco…, les bandes dessinées nous plongeant dans les dégueulass­eries de la guerre forment déjà un rayon bien fourni en fureur et injustice. Mais on n’avait encore jamais vu la guerre comme la dessine la Russe Olga Lavrentiev­a, adoptant ici le point de vue d’une femme, sa grand-mère Valentina, dont elle a recueilli les précieux souvenirs.

Née en 1925, Valentina, dite Valia, a été une enfant heureuse jusqu’à ce que, lorsqu’elle a 12 ans, son père, pourtant adhérent du Parti communiste, soit arrêté, victime d’une des “grandes purges” ordonnées par Staline. Pour quel motif ? Sans doute son origine polonaise, mais rien d’officiel. Laissée dans l’ignorance et le brouillard, la famille doit s’adapter à ce nouveau statut de parias et s’exiler. Montrée du doigt par les autres adolescent·es, Valia se bat pour survivre, enterre sa mère, revient à Leningrad. Elle va y vivre le siège de près de neuf cents jours imposé par l’armée allemande entre 1941 et 1944.

Si Sourvilo passionne en revisitant la grande histoire, c’est aussi, comme les Maus ou Moi, René Tardi… précités, une impression­nante entreprise de transmissi­on. Olga Lavrentiev­a ne se contente pas de dérouler platement le fil de la mémoire de son aïeule. Elle désamorce les pièges de la BD historique trop scolaire en impulsant un souffle graphique moderne et constant. Les lignes des cases s’envolent à l’improviste, les cadrages retranscri­vent les émotions de son héroïne, les surprises visuelles saisissent un instant. La dessinatri­ce montre, par exemple, des chars progresser en diagonale vers la droite, comme s’ils allaient sortir de la page.

A la fois précis et brumeux, presque onirique par moments, son graphisme en noir et blanc évoque – sans doute une coïncidenc­e, pour sûr un compliment – celui du Français Edmond Baudoin. Il s’épanouit autant dans les scènes de bombardeme­nts que dans celles de danse, donnant le sentiment de trouver à chaque page le trait parfait.

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 ??  ?? Sourvilo (Actes Sud BD), traduit du russe par Polina Petrouchin­a, 320 p., 28 €
Sourvilo (Actes Sud BD), traduit du russe par Polina Petrouchin­a, 320 p., 28 €

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