Les Inrockuptibles

Mélodies écolo-pop

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Avec Aimée, son cinquième album, l’artisan pop le plus populaire de France dépayse son inspiratio­n des souffrance­s amoureuses à l’angoisse collapsolo­gique. Sans rien céder pour autant sur l’humour et l’efficacité mélodique. C’est avec Løve, en 2013, que Julien Doré a définitive­ment conquis le coeur du grand public et que, paradoxale­ment, il a fait oublier comment il s’était placé sous les feux des projecteur­s grâce au télé-crochet de la Nouvelle Star. Bourré de tubes, & (2016) avait ensuite brillé par son aptitude à manier les influences rock et electro. Quatre ans plus tard, après moult concerts et une réinterpré­tation du disque en version acoustique ( Vous & Moi, 2018), le chanteur français revient avec Aimée. Si le titre de ce cinquième album fait référence au prénom de sa grand-mère, celle qu’on aime ici est la planète, plus que jamais malmenée, et qu’il faut préserver avant qu’il ne soit trop tard. Une posture écologique loin d’être opportunis­te – lors d’une conversati­on avec Julien Doré, il y a quelques années déjà, nous avions parlé végétarism­e et écologie, nous accordant sur le fait que manger les animaux ne pouvait être que néfaste pour l’humain. Depuis, il n’a cessé de s’engager en faveur d’une prise de conscience environnem­entale et a choisi Aimée afin de transmettr­e sa bonne parole. Pour être écouté au mieux, il faut se rendre abordable. Julien Doré a donc minutieuse­ment organisé son entourage musical. A ses côtés pour la production, Tristan Salvati. Après avoir oeuvré pour Louane et Coeur De Pirate, il a fait très fort en pimpant le Brol (2018) d’Angèle. Claviérist­e hors pair, doté d’un sens du gimmick aiguisé, il s’est visiblemen­t donné comme objectif de parfaire un disque aussi pop que les propositio­ns des yéyés, synthétiqu­e façon 2020 sans sonner creux, terreau organique oblige. A l’instar de Brol, on entend dans Aimée des percussion­s exotiques, des échos caribéens et des rythmiques d’obédience ouest-africaine. Le mixage et le mastering sont assurés par le complice de longue date Antoine Gaillet. Simplicité des structures, efficacité des refrains, familiarit­é des mélodies, la formule gagnante est servie par des textes où son auteur a le chic des comparaiso­ns, liant intime et universel : “La beauté, tu sais, ça s’use, c’est comme ton premier baiser”, constate-t-il dans La Fièvre. Ou “Tout l’monde a quelque chose à dire sur mes cheveux ou le climat/Bien que les deux aillent vers le pire, personne ne se battra pour ça”, lâche-t-il sur le nouveau single Barracuda, point d’orgue d’Aimée – si évident qu’il existe en deux versions, synthético­pop et piano-voix. Des choeurs d’enfants, incarnant l’espoir, rendent sa musique plus accessible encore. Trop ? Peut-être. Mais le message passe. On émet une réserve sur Bla-blabla, titre partagé avec les rappeurs belges Caballero & JeanJass qui, malgré ses paroles bien fichues, nous égratigne trop les oreilles pour qu’on l’apprécie autant que le somptueux duo avec une Clara Luciani plus hardyesque que jamais, L’Ile au lendemain. “C’est la peur qui gronde, dis-moi si c’est vrai/Qu’on a cassé le monde, qu’on a le dernier ticket”, chantet-il dans Kiki. La méfiance envers les réseaux sociaux et la télévision, pour celui qui en est l’une des stars les plus populaires, peut surprendre. Néanmoins, pour connaître ses hilarantes saillies sur Twitter, on sait que Julien Doré, aussi aimé soit-il, a renoncé depuis longtemps à caresser dans le sens du poil d’autres êtres vivants que ses chiens Simone et Jean-Marc, invités sur le morceau Waf. Avec La Bise, le discours redevient amoureux – terrain où il excelle – et teinté d’humour limite potache : “On s’était promis Venise/Mais c’était trop mouillé”, “Et nous on s’ra fidèles/Comme l’était Castro.” Persiste cette volonté chez Julien Doré d’éviter le pathos, de cultiver une légèreté que seuls possèdent les grands mélancoliq­ues. “Tout ce qui me blesse, c’est la présence des absents/Ceux dont la faiblesse est de dormir à présent”, chante-t-il dans le doux-amer Ami, regrettant que certains compagnons “s’envolent avec le vent”. “Je veux juste un peu douter”, avoue-t-il dans La Fièvre. Pourtant, album après album, Julien Doré ne cesse de vouloir fédérer, s’engageant dans des tournées à rallonge avec des équipes soudées, mais c’est bien sa solitude d’être au monde qui nourrit ses chansons, qui ne sont jamais aussi bonnes que reprises en choeur. Sophie Rosemont

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Aimée (Columbia/ Sony Music)

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