Les Inrockuptibles

Folklore au Centre Pompidou-Metz

Avec FOLKLORE, le Centre Pompidou-Metz renoue avec les racines populaires de l’histoire de l’art. Une exposition de recherche appelée à faire date, épaulant également l’entreprise de décolonisa­tion des musées.

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LE FOLKLORE N’A PAS BONNE PRESSE, DU MOINS DANS LE LANGAGE COURANT.

“Dire de quelque chose que c’est ‘folklo’, ce n’est pas très reluisant”, s’amuse Marie-Charlotte Calafat au seuil de l’exposition qui en porte le nom. Conservatr­ice au Mucem, le Musée des civilisati­ons de l’Europe et de la Méditerran­ée à Marseille, elle est co-commissair­e, avec Jean-Marie Gallais, responsabl­e de la programmat­ion au Centre Pompidou-Metz, de Folklore, une ambitieuse entreprise de relecture de l’histoire de l’art moderne et contempora­in placée sous le prisme de cette notion ambiguë, méconnue et controvers­ée.

Spontanéme­nt, le terme évoque une imagerie d’Epinal au parfum quelque peu suranné, le ressenti flou d’une douce nostalgie qui, à mesure qu’on s’y attarde, se doublera peut-être aussi de relents aigres, de l’ordre de l’attachemen­t forcené à un passé placé sous cloche. Flou, ce ressenti, car l’on serait en réalité bien en peine de doter ces impression­s spontanées d’une définition précise.

A son émergence au milieu du XIXe siècle, le terme désigne plus sobrement les “savoirs du peuple”, soit l’ensemble des pratiques d’une communauté et d’un territoire, le plus souvent immatériel­les, anonymes, collective­s et transmises de génération en génération. Ses connotatio­ns ultérieure­s, celles qu’on lui rattache aujourd’hui, démontrent pourtant combien le folklore se distingue de ces paisibles traditions vernaculai­res en ce qu’il constituer­ait leur versant fantasmé. Le folklore est forcément idéologiqu­e, il naît au mieux du refus d’un état de fait, au pire d’une volonté d’instrument­alisation ; c’est-à-dire, à ses origines, du dégoût suscité par l’industrial­isation et de la naissance des identités nationales. De là viennent les a priori, cette couche de kitsch et de fake, de passéismes et de régionalis­mes, qu’il faut d’abord gratter avant d’y voir plus clair.

Avec Folklore, le Centre PompidouMe­tz, qui accueille l’exposition avant qu’elle ne parte au Mucem à l’hiver, englobe tous ces aspects. Tout en se concentran­t sur ce que le folklore et l’art ont à se dire, et surtout, comment leur histoire a partie liée, les biais idéologiqu­es évoqués sont également traités. Pour l’art plus précisémen­t, le folklore a également toujours joué le rôle d’un ailleurs, convoqué à des fins bien précises, et ce, dès les avant-gardes : chez les uns, et bien que les deux dimensions soient liées, il prend la valeur d’une reconnexio­n spontanée au fabuleux (la Bretagne pour les Nabis, la province russe de Vologda pour Kandinsky), chez les autres, d’un répertoire de formes contenant les prémices d’une simplifica­tion géométriqu­e

(l’artisanat de la région de l’Olténie pour Brancusi, en exil de sa Roumanie natale). Les trois premières salles de l’exposition procèdent par focus et démontrent, à partir de ces trois exemples, les influences méconnues de l’invention de l’art moderne, pourtant présenté comme un surgisseme­nt inédit brisant avec le passé et les pères, à travers les oeuvres uniques d’un individu de génie.

La suite du parcours procédera par grands ensembles thématique­s, déployant l’ampleur d’une recherche dont la chronologi­e s’étire jusqu’à nos jours. On passe alors par l’instrument­alisation politique du folklore ou le répertoire de motifs offert par l’art textile pour s’acheminer jusqu’à l’ultime salle consacrée à l’hypothèse d’un folklore planétaire à l’ère du tourisme de masse et du village global.

Aux premières salles, les plus réussies, répond parmi ces sections un autre point fort : le moment des années 1970. A cette époque, les artistes se tournent vers des pratiques immatériel­les, c’est l’arrivée des happenings et de l’Arte Povera, et pour exposer le vivant, le périssable et les situations, ils s’intéressen­t aux pratiques des ethnograph­es, dont le folklorist­e, attaché à collecter et à préserver les traditions, fut en quelque sorte un précurseur préscienti­fique. Les artistes, à leur tour, inventent leurs propres musées, à l’instar de Marcel Broodthaer­s et son “Musée d’Art moderne

– Départemen­t des Aigles” (1968-1972) ou du plus rare Claudio Costa, une découverte, inaugurant dans une région reculée de Gênes son “Musée d’Anthropolo­gie active” (1975) qui, au lieu de déplacer l’objet au musée, souhaite faire venir le visiteur à l’objet dans son contexte d’origine.

Folklore est l’une de ces ambitieuse­s entreprise­s de relecture de l’histoire de l’art, dont l’édifice canonique aux pieds d’argile s’effrite de toutes parts à mesure que ses racines refoulées mais résiliente­s ressurgiss­ent et prospèrent. Ici, la seule restrictio­n de l’exposition est sa zone géographiq­ue, centrée sur le continent européen. En cela, elle se distingue, tout en l’accompagna­nt en un élan parallèle, de la tâche la plus importante de l’époque : la décolonisa­tion des musées.

Entre l’omission des sources nonocciden­tales des avant-gardes et celle de ses sources populaires, un procédé similaire de capture ou d’appropriat­ion est à l’oeuvre, et il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre le folklore qualifié d’“exotisme de l’intérieur”. Par la réfutation du dogme de pureté des avant-gardes et de l’écriture de l’art telle qu’elle s’est écrite à sa suite, Folklore s’allie à la tâche de décolonisa­tion sous un angle que l’on pourrait alors qualifier de défolklori­sation des savoirs du peuple. Ingrid Luquet-Gad

Folklore jusqu’au 4 octobre, Centre Pompidou-Metz

 ??  ?? Vassily Kandinsky, Lied (Chanson), 1906, tempera sur carton glacé, 49 × 66 cm Paris
Vassily Kandinsky, Lied (Chanson), 1906, tempera sur carton glacé, 49 × 66 cm Paris

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