Les Inrockuptibles

Les Apparences de Marc Fitoussi

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Une bourgeoise expatriée voit son petit théâtre mondain menacé par la liaison de son mari. Finement mis en scène, ce thriller soigne son atmosphère trouble et ses effets de surprise.

LES GENS NE SONT PAS BÊTES. LES HÉROÏNES DE MARC FITOUSSI (Huppert dans Copacabana, 2010, Kiberlain dans Pauline détective,

2011, Emilie Dequenne dans Maman a tort, 2016) savent très bien (le formulente­lles ? Peu importe) que le réel (ce truc “pas possible”, comme disait Lacan) n’est supportabl­e que si on en fait toute une histoire, sa propre fiction. Eve (Karin Viard) a construit sa fiction : mariée à Henri (Benjamin Biolay), un chef d’orchestre renommé à la tête du prestigieu­x Opéra de Vienne, elle a un poste de cadre à l’Institut français, organise des dîners luxueux, riches en mets acquis dans les lieux les plus chics de la capitale autrichien­ne, en présence des membres de la communauté française la plus huppée. Faire ses emplettes (et les filmer avec détail – très bonne idée de mise en scène) fait déjà partie de son petit spectacle, de sa fiction.

Eve n’est pas bête : elle sait très bien qu’elle est issue d’un milieu modeste (image que lui renvoie sans cesse son agaçante mère). Mais elle joue parfaiteme­nt sa partition : quand le concert s’achève, le soir de la première, elle est toujours la première à se lever pour applaudir son mari qu’elle aime. On la regarde. Mais elle n’est pas bête : quand elle clame son bonheur pendant une interview, elle sait très bien – comme nous, qui ne sommes pas con·nes non plus et lisons les interviews de stars heureuses qui, dans un an, vivront un autre amour parfait et éternel avec une autre personne – que c’est un spectacle.

Au fond, Eve sait tout ce qui va arriver, parce que c’est une histoire banale. Elle sait déjà que son mari la trompe (la scène où elle se blesse et où Biolay l’ignore, concentré sur son smartphone, est d’une grande et belle cruauté) avec une autre femme et que tout peut s’effondrer. Elle sait, en lisant les sextos brûlants de cette maîtresse (dans tous les sens du terme, puisqu’elle est aussi institutri­ce à l’Ecole française de Vienne), que ces émois érotiques sont aussi un jeu, comme les amants savent parfaiteme­nt qu’il faut créer de l’échauffeme­nt, de la fiction pour que les corps désirent, se donnent du plaisir. Eve sait qu’elle joue, mais qu’elle ne veut pas perdre.

Le problème de nos petites fictions personnell­es, c’est quand elles rencontren­t une autre fiction qui ne coïncide pas avec elles. Eve, désespérée,

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