Deauville rêve de grands espaces
On pense parfois à Ophuls (pour les apparences), un petit peu à Chabrol (la bourgeoisie), et surtout à Verhoeven, en plus feutré
pendant qu’Henri dort, va boire un coup dehors, la nuit dans Vienne, comme on va vivre un cliché de l’errance et du malheur amoureux. Croit trouver une consolation de passage avec un bel intellectuel polyglotte. Le problème, c’est que lui-même est une fiction, et pas des moindres : il est psychopathe... C’est une histoire classique. L’intérêt, c’est la manière dont Marc Fitoussi, aujourd’hui metteur en scène aguerri, va traiter ce sujet qu’on connaît par coeur. Raconter, c’est surprendre les spectateur·trices avec ce qu’il·elles attendent, dit-on.
Première surprise : au lieu de faire une scène à Henri, Eve va ruser. Elle balance sur le réseau de l’Ecole française l’un des mails les plus chauds de la sensuelle Tina (est-il besoin de dire que Lætitia
Dosch, sortie enfin des rôles de grandes godiches qu’on lui a fait souvent jouer, est ici une fois de plus admirable ?). Inutile de tout raconter. La mise en scène de Fitoussi est très précise. Et finaude, même. Parce qu’il sait, discrètement, insuffler de l’angoisse dans le film. Notamment grâce à la musique (dont la célèbre valse qu’avait composée Bernard Herrmann pour Obsession
De Palma). Parce qu’il y a des personnages féminins troubles, sortes de doubles un peu trop doubles d’Eve, comme celui de son amie Clémence (Pascale Arbillot), si semblable en tout point à Eve – méchanceté en plus – qu’on l’imaginerait bien lui planter un couteau dans le dos…
On pense parfois à Ophuls (pour les apparences, justement), un petit peu à Chabrol (la bourgeoisie, mais pas tant que ça), et surtout à Paul Verhoeven, en plus feutré, plus léger, moins provocateur, certes. Mais la légèreté est parfois la meilleure cachette pour la dague qu’on a trempée dans le poison. de
Les Apparences de Marc Fitoussi, avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lætitia Dosch, Lucas Englander (Fr., Bel., 2019, 1 h 50)
Au grand gagnant de la 46e édition du Festival du cinéma américain, The Nest de Sean Durkin, on préfère la douceur du western First Cow, signé Kelly Reichardt.
La drôle d’édition 2020 socialdistanciée du festival de Deauville s’est dotée d’un vainqueur sans partage (grand prix, prix révélation, prix de la presse) : The Nest, second long de Sean Durkin ( Martha Marcy May Marlene, 2011), auscultant la lente détérioration d’une famille anglo-américaine, dirigée par un Jude Law mielleux et avide (possible retour au premier plan pour l’acteur qui n’a pas été cité à l’Oscar depuis 2003). Dans le manoir du Surrey où ce monstre installe les siens pendant qu’il tâche de reconquérir la City, se met en place la captation sophistiquée d’un drame à bas bruit enveloppé dans les boiseries, très raffiné à la surface des microévénements quotidiens
– et moins en profondeur, dans sa peinture par trop schématique des travers de l’homme pressé. Triomphe à la fois compréhensible et discutable, auquel on eût préféré l’autrement plus empathique et généreux First Cow de Kelly Reichardt (tout de même prix du jury), western anonyme sur deux trappeurs oregonais du début XIXe, vendant au marché du fort voisin des gâteaux au lait volé nuitamment à un petit baron local. Fabliau doux, pâtissier et survivaliste sur les fondements de l’Amérique, du commerce, de la coexistence des hommes entre eux et avec la nature, le film et son imagier de gestes et d’outils semblent presque emprunter à la vie des bois du jeu vidéo Red Dead Redemption 2.
Il attend toujours son distributeur français. Viendra-t-il ?