Les Inrockuptibles

Pierre Cardin de P. David Ebersole & Todd Hughes

- Gérard Lefort

Archives inédites et témoignage­s nourrissen­t ce portrait d’un touche-à-tout génial et stakhanovi­ste, qui révolution­na la mode dès les années 1950.

LE DOCUMENTAI­RE CONSACRÉ À PIERRE CARDIN (98 ANS DEPUIS LE MOIS DE JUIN) débute par une tornade de dithyrambe­s qui peut décourager. Mais au fil d’archives souvent inédites et de témoignage­s instruits, dont celui de Jean Paul Gaultier qui, à 17 ans, fit ses débuts chez le couturier, on quitte l’hagiograph­ie jusqu’à convenir de bon coeur que Cardin fut en effet un génie. Pour cet Italien né dans une famille modeste, forcée à l’émigration en France dans les années 1920 autant par la dèche que par le fascisme, le cliché du conte de fées tend ses bras. Sauf que la fée c’était lui, un touche-à-tout sublime, comme on le disait de Cocteau avec qui il collabora pour les costumes de La Belle et la Bête.

Dès ses débuts, la mode est une obsession à condition qu’elle emprunte des chemins de traverse. Certes, il crée sa griffe dans les années 1950 mais révolution­ne la haute couture avec des modèles géométriqu­es, colorés, taillés dans des matières alors hors la loi (métal ou vinyle).

Et c’est Cardin qui le premier, en 1959, juste avant Saint Laurent, crée pour les magasins du Printemps une collection de prêt-à-porter “grand public”. C’est lui encore qui, dans les années 1960, organise des défilés unisexes ou exclusivem­ent masculins qui vont chambouler le vestiaire des hommes jusqu’à séduire les Beatles pour leur plus fameux costume de scène (la veste beige sans col à liséré noir).

C’est lui surtout qui, homme d’affaires redoutable, a l’idée qu’un nom pouvait devenir une marque, synonyme de créations modernes et “populaires”. Point d’orgue à la fin des années 1960 : du mobilier futuriste avec la complicité d’un débutant nommé Philippe Starck. En 1971, son nom rebondit une fois de plus lorsqu’il achète un théâtre parisien qui va devenir l’Espace Cardin, où se produiront bien des avant-gardes chorégraph­iques ou théâtrales (notamment Bob Wilson). Tout au long de son existence, Cardin est un travailleu­r insatiable, pressé d’aller voir ailleurs s’il y est. “Je suis toujours content de mon présent mais je ne me sens jamais arrivé.”

Sur sa vie privée, le vieux gentleman est d’une discrétion qui n’élude cependant pas sa préférence pour les hommes. Et sa liaison avec Jeanne Moreau dans les années 1960 ? “Tant qu’à faire une exception, autant que ce soit avec Jeanne Moreau.” Il l’habille pour quelques films de Truffaut et signe les costumes de La Baie des Anges de Demy. Qui êtes-vous, Monsieur Cardin ? Au final, la question reste irrésolue, mais l’un des meilleurs résumés vient de Sharon Stone, que Cardin avait repérée dans sa prime jeunesse de mannequin débutante : “Cardin, c’est une phrase qui se termine toujours par un point d’exclamatio­n coloré.”

Pierre Cardin de P. David Ebersole & Todd Hughes (E.-U., Fr., 2019, 1 h 35)

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