Les Inrockuptibles

Les géographie­s de Kelly Reichardt

- Marilou Duponchel

Une livre, riche en documents inédits, plonge dans l’oeuvre subtile de la cinéaste de “l’à côté”.

La plupart des films de Kelly Reichardt s’ouvrent sur des traversées en extérieur. Traversée d’un train de marchandis­es dans Wendy et Lucy (2008) ; d’une charrette, des boeufs et des pionniers qui l’accompagne­nt dans La Dernière Piste (2010) ; d’un train, à nouveau, dans Certaines Femmes (2016) ou d’un bateau sur les eaux calmes d’un lac d’Oregon dans First Cow (2020), dernier film de la cinéaste américaine encore inédit en France. Mais sans doute le terme le plus approprié pour parler de son cinéma serait celui de “retraversé­e” – qui donne son nom au riche et bel ouvrage, premier édité en France, que lui consacre Judith Revault d’Allonnes, mêlant analyse, documents de tournage issus des archives de la cinéaste, entretiens avec Todd Haynes ou Gus Van Sant. Car dans le fond, son oeuvre ne parle que de cela : d’histoires revisitées, de géographie réinventée. Archéologu­e, son cinéma ne cesse de conjuguer la grande et vieille histoire de son continent au présent immédiat des personnage­s qui la traversent – désaxé·es, marginaux·ales que l’on regarde vivre et marcher, qui rêvent à de nouvelles vies mais se cognent à la réalité d’un capitalism­e redoutable. “Un road movie sans route, une histoire d’amour sans amour, une affaire criminelle sans crime.”

C’est ainsi que Reichardt qualifiait son premier film, River of Grass

(1994). Peut-être l’évocation idéale pour dire la beauté d’un cinéma de “l’à côté”, arpentant des chemins broussaill­eux (la nature et les animaux sont partout), chemins de traverses de ceux·celles que l’on voit peu (femmes, Amérindien·nes, pauvres), sublimant le geste le plus quotidien, préférant au triomphe l’inachevé, à la vérité la recherche perpétuell­e.

Kelly Reichardt – L’Amérique retraversé­e de Judith Revault d’Allonnes (De L’incidence), 128 p., 18 €

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