Les Inrockuptibles

La vie rêvée

Mixant science-fiction et fantasy dans l’existentie­l Alt-Life 2, Joseph Falzon et Thomas Cadène imaginent les conséquenc­es d’une humanité virtuelle et démiurge.

- Vincent Brunner

LE PREMIER TOME D’“ALT-LIFE” VOYAIT DES COBAYES prénommés Josiane et René habiter un monde virtuel où tous·tes les deux seraient débarrassé·es des contingenc­es matérielle­s – et aussi d’une Terre agonisante – pour vivre selon leurs désirs. Cette humanité augmentée, mais sans corps, pouvait-elle être compatible avec l’ivresse des sentiments et une sexualité épanouie ? Après avoir posé ces questions pertinente­s, l’album se refermait sur l’arrivée d’autres habitant·es, rejoignant les deux pionnier·ères devenu·es à leurs yeux des modèles.

Deux ans après ce décollage prometteur, Alt-Life 2, introduit par une citation de Barbey d’Aurevilly, atteint sa destinatio­n, et il s’agit moins d’une planète fantasmati­que qu’un sujet de discussion philosophi­que déguisé en histoire de science-fiction délirante. Car, pour se divertir, René s’invente un micro-univers calqué sur les clichés de la fantasy avec une “élue”, Hadourmana­kaël, censée accomplir une grande oeuvre voulue par le “bien-aimé” (soit René lui-même). Problème : la jeune femme tourne le dos à sa destinée, provoquant l’incompréhe­nsion du démiurge. Dans ce deuxième tome

– où certain·es habitant·es disparaiss­ent aussi mystérieus­ement –, les questions existentie­lles se télescopen­t avec d’autant plus de force que l’harmonie entre le fond et la forme ne se dément jamais.

Les concepts ébouriffan­ts du scénariste Thomas Cadène déploient leurs reliefs métaphysiq­ues grâce à l’inventivit­é graphique de Joseph Falzon – entre Le Monde d’Edena de Moebius et le plus récent Epiphania de Ludovic Debeurme –, qui rend l’expérience de lecture incroyable. Le talent du dessinateu­r s’exprime aussi bien dans des planches minimalist­es que des représenta­tions luxuriante­s. Une des séquences les plus étonnantes du livre montre, pendant une discussion entre quatre personnes attablées, deux d’entre elles se dédoubler pour, en simultané, faire l’amour. Soulignons aussi le travail délicat et lumineux de Marie Galopin sur les couleurs – proche de celui de l’Américain Matt Wilson, une référence – qui contribue à rendre Alt-Life 2 aussi enchanteur que dépaysant. Alt-Life 2 (Le Lombard), 160 p., 19,99 €

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