Les Inrockuptibles

Dystopie algéroise

Salles fermées, artistes au travail

- Patrick Sourd

HUBERT COLAS ancre les luttes du peuple algérien pour sa libération dans une capitale de fiction imaginée par Le Corbusier dans les années 1930. L’histoire relue avec poésie.

EN CETTE FIN DU MOIS D’AOÛT 1997, LA PRESSE RELAIE JUSQU’À L’OVERDOSE le décès accidentel de Lady Di à Paris, en oubliant trop vite le massacre de Raïs perpétré deux jours avant en Algérie – trois cents personnes (hommes, femmes et enfants) assassinée­s au nom d’une terreur attribuée au Groupe islamique armé. Nourrissan­t une colère légitime envers les priorités de l’info, Sonia Chiambrett­o décide alors de s’atteler à un travail d’écriture, qui va lui prendre plus de vingt ans, pour témoigner du calvaire du peuple algérien. Gratte-Ciel, son récit, est aujourd’hui adapté pour la scène sous le titre Superstuct­ure par Hubert Colas. Ce dernier nous ouvre l’une des ultimes répétition­s, au Théâtre national de Strasbourg.

En se référant au lexique de l’urbanisme, l’autrice et le metteur en scène pointent un rendez-vous manqué avec l’architectu­re qui aurait pu changer le cours de l’histoire de l’Algérie. “L’architectu­re étant le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière” pour Le Corbusier, le maître du mouvement moderne ne pouvait qu’être inspiré par la lumière de la baie d’Alger. Il imagine, dans les années 1930, un nouveau visage pour la capitale. Une vision “utopique” où une voie rapide enjambe la casbah, tandis que les constructi­ons coloniales du front de mer sont remplacées par une barre sinueuse coiffée d’une route en corniche avec vue sur le large. Si ce “projet-monstre” n’a jamais vu le jour, l’autrice en fait son modèle : “Je crée une ville dystopique qui devient le support d’un récit dans lequel j’associe plusieurs couches de mémoire telles que la colonisati­on, la guerre d’indépendan­ce, la libération, la décolonisa­tion et la décennie

Sous la forme d’un oratorio, Hubert Colas confie la partition textuelle à un choeur et des solistes

noire.” Ironie du sort, Le Corbusier avait nommé son geste le plan “Obus” ; au final, ce ne fut pas par l’art mais par la poudre que le destin du pays fut scellé.

Baignée par le noir et blanc des images d’archives et de paysages, la maquette du projet corbuséen se profile à grande échelle sur le plateau tel un tag énigmatiqu­e. La fiction architectu­rale sert d’écrin aux paroles. Suivant les principes de la poésie sonore et sous la forme d’un oratorio, Hubert Colas confie la partition textuelle à un choeur et des solistes. Protocole poétique appliqué à l’histoire, le spectacle témoigne des rêves autant que des cauchemars.

Hubert Colas a pensé Superstruc­ture

comme une bouteille lancée à la mer : “L’Algérie ne s’est pas encore trouvée et le peuple algérien est actuelleme­nt en passe, par la sagesse qu’il emploie dans ses manifestat­ions, de forger la puissance de son autonomie, de sa liberté, celle de la population et non seulement d’une élite.”

Un message d’espoir pour recadrer le passé et construire le futur.

Superstruc­ture d’après Gratte-Ciel de Sonia Chiambrett­o, mise en scène et scénograph­ie Hubert Colas, avec Mehmet Bozkurt, Emile-Samory Fofana, Brahim Koutari, Isabelle Mouchard, Perle Palombe... Théâtre national de Strasbourg et en tournée – dates à préciser

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