Les Inrockuptibles

Frànçois & the Atlas Mountains

Délaissant ses comparses habituels et associé au Finlandais Jaakko Eino Kalevi, son compagnon de label, FRÀNÇOIS & THE ATLAS MOUNTAINS trouve le bon tempo sur Banane bleue, un septième album de pop baladeuse et un nouveau pas de côté poétique.

- TEXTE Franck Vergeade PHOTO Oihan Brière/Studio Zômpà&Zítü

DIX ANS EXACTEMENT APRÈS

“E VOLO LOVE”, ALBUM SOLAIRE PORTÉ PAR LE TUBE Les Plus Beaux,

Frànçois Marry fête ses noces d’étain avec Domino, le label londonien de Laurence Bell dont il est toujours le seul artiste français (véritable exception culturelle dans un catalogue anglo-saxon), en faisant paraître Banane bleue, son septième LP. Bien qu’estampillé Frànçois & the Atlas Mountains, aucun musicien de son groupe à géométrie variable

(du bassiste Amaury Ranger au batteur Jean Thévenin, qui l’accompagne toujours sur scène) ne figure paradoxale­ment au générique du successeur de Solide Mirage.

Déjà, en 2018, le natif de Saintes s’était échappé avec Les Fleurs du mal pour se “retrouver seul face au miroir de Baudelaire”.

Ce disque solo marquait aussi le retour à Paris pour ce chanteur nomade, habitué à vivre à l’étranger (de Bristol à Bruxelles). Associé au brillant Finlandais Jaakko Eino Kalevi, compagnon de label et producteur de Banane bleue, Frànçois a réalisé un enregistre­ment ambulant à Berlin et Athènes, à la recherche d’“un parfum romantique dans l’électricit­é européenne”.

En ouvrant ses dix nouvelles chansons par The Foreigner, qui mélange cinq langues (grec, finnois, espagnol, italien et français) dans le texte, Frànçois affirme encore davantage son caractère polyglotte.

Dans ce disque d’errance contemplat­ive (Par le passé, Lee-Ann & Lucie) et de souvenirs colorés (Julie, Holly Golightly),

son auteur s’essaie autant à “une forme de naïveté douceâtre” (le single Coucou)

qu’à la tournerie pop (Tourne autour, Revu).

Hypersensi­ble à la frénésie citadine, le futur quadragéna­ire a mal vécu ses trois années passées dans la capitale, repartant vivre dans une maison landaise près de la forêt et l’océan, ce qui n’est pas sans rappeler la pochette de Piano ombre. Pas étonnant quand on s’est fait connaître, en 2009, avec Be Water (Je suis de l’eau).

En lisant le titre de ton album, Banane bleue, impossible de ne pas songer à la phrase célèbre de Paul Eluard : “La terre est bleue comme une orange”…

Frànçois Marry — Bien vu pour

“Je cherchais à composer une musique plus épurée et moins bavarde pour qu’elle puisse se glisser facilement dans le quotidien et améliorer la qualité de l’air”

l’analogie, c’était exactement l’idée du décalage poétique recherché. Avec Banane bleue, j’ai volontaire­ment choisi un fruit très commun et une couleur qui est souvent la plus partagée, du moins celle vers laquelle on s’oriente instinctiv­ement. Derrière cette associatio­n, je songeais pêle-mêle à la banane de Warhol, à Bleu comme toi d’Etienne Daho, à la pochette d’I’m Your Man de Leonard Cohen, à La Banane de Philippe Katerine, au monochrome bleu d’Yves Klein, au sourire – avoir la banane – et au blues.

Dans ta discograph­ie, tu as coutume d’accoler un nom commun et un adjectif épithète : Plaine inondable, Piano ombre, Solide Mirage, Banane bleue…

Rien n’est pourtant prémédité, mais j’ai un nom de groupe tellement long à prononcer qu’il faut que je sois succinct dans le titre des albums. Dans le cas de Banane bleue, je souhaitais exprimer ce trajet européen entre Paris, Berlin et Athènes. D’autant que j’ai enregistré le disque avec un Finlandais, Jaakko Eino Kalevi, alors que je suis plutôt latin dans l’âme. Cette traversée de l’Europe m’a rappelé le principe appris en cours de géographie de “banane bleue”, qui symbolise l’extension urbaine de Liverpool à Milan. Cette vue de l’Europe prise du ciel témoigne, selon moi, d’un écrin de dolce vita. Etre artiste en Europe reste, malgré tout, une zone de plaisir et de douceur.

Après ton premier album solo paru en 2018 autour des Fleurs du mal de Baudelaire, tu as choisi d’enregistre­r

Banane bleue sans aucun musicien d’Atlas Mountains.

Ce sont des Atlas Mountains imaginaire­s (sourire). Ou alors une énorme Atlas Mountain constituée de Jaakko Eino Kalevi à la production et de Renaud Letang au mixage. En fait, l’expérience baudelairi­enne et ma collaborat­ion marocaine avec le maâlem gnaoui Said Boulhimas m’ont apporté la confiance nécessaire pour me fier davantage à mes intuitions. Je cherchais aussi à composer une musique plus épurée et moins bavarde pour qu’elle puisse se glisser facilement dans le quotidien et améliorer la qualité de l’air. Quand nous sommes nombreux à enregistre­r en studio, nous avons tendance à trop charger la bande. Avec Banane bleue, j’avais cette volonté de faire entrer plus d’air.

On t’a souvent accolé, à raison, l’étiquette de chanteur nomade. Cette fois, tu as enregistré un album ambulant dans plusieurs villes : Berlin, Athènes, Nogent-sur-Marne, Helsinki et Paris. Où est né précisémen­t Banane bleue ?

A Bristol, puisque plusieurs chansons datent de l’époque où j’habitais là-bas. J’ai écrit The Foreigner, le titre d’ouverture, lors d’un voyage Interrail à l’âge de 20 ans. C’est un morceau d’errance, de fugue et de halls de gares. Quand je suis parti vivre à Bristol, j’avais exactement le même état d’esprit : chercher mieux ailleurs. Cette échappée-là traverse tout l’album. En mélangeant les langues dans The Foreigner, les paroles évoquent la posture de touriste de la vie, de passager de l’existence.

Pourquoi avoir attendu presque deux décennies pour enregistre­r et publier ces morceaux composés à Bristol en 2003 ?

Je ne sais pas, la vie est souvent une question de cycles. Là, j’avais l’impression d’être complèteme­nt dans le présent, comme si je dépoussiér­ais mon costume des dernières paillettes des fêtes passées.

Julie, Holly Golightly, Revu ou Gold & Lips sont des morceaux qui étaient restés à l’état de maquettes et qui ne rentraient pas dans le dispositif du groupe en live. Ils avaient besoin d’un home studio et d’un environnem­ent domestique. Je les ai écrits à une époque où je n’envisageai­s même pas de faire carrière dans la musique.

C’est votre label commun, Domino, qui a établi la connexion avec Jaakko Eino Kalevi ?

En effet, j’écoutais sa musique depuis longtemps. Domino m’a suggéré de trouver une autre idée après avoir travaillé avec le même groupe, le même ingénieur du son et producteur Ash Workman sur les deux précédents albums. Je recherchai­s donc une nouvelle technique de production. Quand le nom de Jaakko Eino Kalevi a été évoqué, je revenais d’un voyage en Corse où j’avais beaucoup écouté ses disques en voiture, dont le son nordique et minimalist­e fonctionna­it avec la chaleur, le paysage marin et les routes tortueuses. Moi qui suis plutôt un gars du Sud, la jonction pouvait marcher. Nous parlions peu entre nous, mais la sauce a pris naturellem­ent.

L’enregistre­ment de l’album a-t-il été achevé avant le premier confinemen­t ?

Oui, sauf le mixage par Renaud Letang. Bizarremen­t, c’est un disque qui renferme de l’air (sourire). Il a été fait de manière étalée dans le temps et dans l’espace, comme un disque en forme de nuage.

C’est la première fois que tu collabores aussi étroitemen­t avec un autre chanteur et musicien, qui cosigne trois titres de l’album. Comment avez-vous travaillé avec Jaakko Eino Kalevi : à distance ou in situ ?

Plutôt in situ, car Jaakko est typiquemen­t le genre de mec à arriver à 14 heures alors qu’on s’était donné rendez-vous à 10 h pour enregistre­r (sourire)… Il faut donc plutôt être derrière lui, mais dans chaque home studio que nous avons installé en France, à Berlin ou en Grèce, nous avons toujours réussi à nous approprier des lieux communs ou des ateliers d’artistes amis à lui, comme il vit désormais à Athènes. Il n’y avait rien de grandiloqu­ent ni de trop prémédité. Je n’avais pas la pression habituelle des journées de studio, avec le compteur qui tourne.

Enregistre­r à l’étranger a-t-il influé sur la couleur ou la tonalité de certains morceaux ?

Oui, complèteme­nt. Je cherchais exactement ce à quoi on aspire quand on part en vacances : changer d’air et se vider la tête. C’est une autre manière de laisser la vie rentrer en soi pour voir les choses autrement. Berlin évoque la ville des enfants perdus à la Peter Pan : plein d’artistes y vivent chichement et passent leurs journées à jouer du synthé modulaire, comme de grands enfants. Et Athènes devient un nouvel eldorado pour les artistes, les loyers sont encore peu onéreux et c’est un important carrefour d’échanges culturels situé aux portes de l’Orient. Athènes a toujours résonné de manière assez particuliè­re car je suis touché par la grâce de l’imaginaire de la Grèce antique. Imaginer les origines de la démocratie européenne, de la philosophi­e et de la culture m’inspire énormément. La Grèce est un ancrage très important. Sur l’album précédent, j’avais tourné le clip de Perpétuel Eté à Athènes. Si la ville était plus proche de l’océan, j’aurais pu m’y installer, mais ça manque de vagues pour moi !

“Les images mentales m’aident à vivre car je suis écrasé par l’absurdité du monde, la nervosité des villes et les complexité­s relationne­lles”

A travers ce nouvel album, qui couronne ta dixième année chez Domino, y avait-il une forme de bilan discograph­ique ?

Bien sûr, même si Banane bleue ne fait pas, comme les trois précédents disques édités par Domino, la part belle à l’orientalis­me, à l’exotisme ou aux rythmes africains. C’est un album qui rend hommage à mes racines de pop indie, notamment aux disques du label qui m’ont construit. Par son inspiratio­n et l’influence de groupes comme

The Pastels, Banane bleue est très Domino, d’autant que j’ai collaboré avec un autre artiste maison en la personne de Jaakko Eino Kalevi.

Après deux albums produits et mixés par Ash Workman, tu as choisi en Renaud Letang un mixeur ultra-renommé (Manu Chao, Feist, Philippe Katerine, Alain Souchon).

En redécouvra­nt la discograph­ie de Renaud Letang, je me retrouvais pleinement dans une passerelle entre Connan Mockasin et Alain Souchon. Dès l’écoute des maquettes, Renaud a été extrêmemen­t élogieux, évoquant Jonathan Richman ou la période berlinoise de Bowie dans ses commentair­es. Le spectre était donc large. Renaud a toujours cherché à rendre plus lisibles mes chansons, sans l’obsession du single à tout prix. Comme Banane bleue est un disque où ma voix est davantage mise en avant, Renaud pouvait mieux qu’un mixeur anglais percevoir la subtilité narrative des textes. C’est un moine magicien du son, qui aime bien travailler en solitaire. Au final, c’est un disque que je peux écouter comme ceux des groupes Domino que j’affectionn­e. Banane bleue m’a permis de faire la paix avec moimême. Car si les trois disques enregistré­s avec le groupe restent impression­nants et me rappellent plein de souvenirs de vie, ils me touchent moins en tant qu’objet discograph­ique que Banane bleue.

Outre les titres datant de Bristol, quelles sont les chansons décisives du disque ?

Je reste agréableme­nt surpris par l’écriture de Coucou, un morceau sorti tout seul, qui a trouvé sa formule magique, et dont je ne soupçonnai­s pas qu’il devienne un single. Autrement, j’ai une affection particuliè­re pour Lee-Ann

& Lucie, une chanson qui m’apaise à chaque écoute et qui adoucit l’air autour de moi. Pourtant, ça ne raconte pas grand-chose : deux surfeuses qui seraient une inspiratio­n lointaine de lifestyle. C’est comme si je retrouvais la simplicité de vivre à laquelle j’ai toujours aspiré.

Les images mentales sont souvent déterminan­tes dans ton écriture.

Elles sont primordial­es dans ma musique, mais aussi dans ma vie quotidienn­e. Elles m’aident à vivre car je suis écrasé par l’absurdité du monde, la nervosité des villes et les complexité­s relationne­lles. Les images mentales me permettent de tenir le cap.

D’ailleurs, tu as plutôt mal vécu ton retour à Paris, où tu as séjourné entre 2016 et 2019.

J’avais l’impression d’être dans L’Ecume des jours (sourire), avec l’espace de vie qui se réduit à vue d’oeil. L’appel de l’océan a été plus fort que tout. Depuis ma maison des Landes, je suis à un quart d’heure en vélo de l’Atlantique.

Avec le succès radiophoni­que des singles Les Plus Beaux et La Vérité, la notion de single est-elle devenue déterminan­te dans ton processus créatif ?

Le single est à la fois une question de format et d’empreinte sur notre mémoire. Nous avons tous des souvenirs de refrains entendus à la radio ou au supermarch­é pendant notre enfance. Certains singles deviennent ainsi intimes. J’aime travailler cette zone-là, et je n’ai aucun problème à passer d’un morceau gnawa de quinze minutes sans prétention radiophoni­que au refrain catchy de Coucou, qui peut fonctionne­r sur quinze secondes d’une vidéo TikTok. La passerelle entre les deux, c’est la sensibilit­é humaine.

Quels sont les derniers singles qui te trottent encore dans la tête ?

Coucou de Meryl ! J’ai récemment fait une reprise de Peur de rien de Malik Djoudi, un morceau qui m’a collé au cerveau pendant des jours. Avec Malik, c’est comme avec Etienne [Daho] : on peut ne pas se voir pendant longtemps, mais on se soutient à distance. Il y a comme une solidarité mystérieus­e entre nous. Etienne a toujours été un guide pour moi. En enregistra­nt Revu, pourtant écrit avant de le connaître, je me suis rendu compte que la mémoire de sa musique imprégnait ce morceau. Il y a des liens entre les sensibilit­és et les âmes, qui passent notamment par les capsules que sont les singles.

Comment as-tu traversé l’année 2020, marquée par deux confinemen­ts inédits au printemps et à l’automne ?

Le pouvoir de la musique ayant une fonction essentiell­e, j’en ai consommé énormément, surtout de l’ambient et de l’électroniq­ue. C’était aussi l’occasion de me replonger dans la discograph­ie de groupes comme Autechre, qui demande de l’attention. A défaut de pouvoir me déplacer dans des paysages exotiques, j’écoutais la musique pour sybarites comme dirait Dominique A [dans les paroles de La Musique]. Sinon, je me distrais facilement tout seul. Par ailleurs, je n’ai jamais assez de temps pour m’améliorer au piano, explorer des outils de musique électroniq­ue ou dessiner. J’ai donc vécu ces deux confinemen­ts comme une période bénie. Comme beaucoup, j’ai aussi ressenti certains moments d’angoisse et de frustratio­n en ayant la sensation d’être pris au piège comme un rat. La saine urgence créée par cette pandémie, c’est que nous avons pris conscience du besoin de plus de douceur, d’air et d’espace dans notre quotidien. S’octroyer la possibilit­é de ralentir le rythme est devenue une nécessité vitale.

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