Les Inrockuptibles

C’EST LORS DU TOURNAGE DE JE VOUS AIME DE CLAUDE BERRI QUE S’EST CONSTRUITE L’AMITIÉ DE CATHERINE DENEUVE ET DE SERGE GAINSBOURG. POUR NOUS, L’INTERPRÈTE DE DIEU EST UN FUMEUR DE HAVANES SE SOUVIENT DE NE PAS L’OUBLIER.

- PROPOS RECUEILLIS PAR Jean-Marc Lalanne

“JE NE ME SOUVIENS PLUS TRÈS BIEN À QUEL POINT JE CONNAISSAI­S SERGE GAINSBOURG avant que nous ne tournions ensemble un film de Claude Berri, Je vous aime

(en 1980). Je l’avais déjà croisé bien sûr, mais nous n’étions pas encore amis. Je sais en revanche que, bien avant de le rencontrer, sa musique comptait beaucoup pour moi. Dès ses débuts, j’ai été frappée par l’originalit­é de ses compositio­ns, de ses textes, quelque chose d’extrêmemen­t personnel et frappant. J’ai écouté à peu près toutes ses périodes musicales et elles m’ont toutes intéressée.

Quand je l’ai finalement vraiment rencontré, sur le tournage du film de Claude Berri donc, il traversait une période douloureus­e. Jane et lui étaient en train de se séparer. Il était extrêmemen­t écorché. Je me souviens que tout le monde parmi l’équipe du film répétait à l’envi : “Il faut faire attention à Serge, il faut s’occuper de lui, il ne faut pas le laisser seul…” Tout le monde parlait de lui comme d’une chose fragile qui pouvait à tout moment se briser. Mais après le tournage, tout le monde rentrait chez soi sans plus s’en soucier. Vaguement désignée comme celle qui devait le prendre en charge, je me suis un peu dévouée pour ne pas le laisser seul. Nous avons commencé par aller dîner ensemble après le tournage. Et puis par aller boire des verres après le dîner. Puis il m’a traînée dans ses clubs préférés. Et très vite, avec lui, on se retrouve à prendre un petit-déjeuner à 6 h du matin dans un café de Saint-Germain après une nuit blanche. (rires)

Je me suis vraiment beaucoup amusée avec Serge. J’adorais le suivre la nuit, boire des verres (même si j’en buvais moins que lui). Il me faisait énormément rire. Il y avait chez lui quelque chose d’extrêmemen­t gracieux, même quand il disait des choses grossières. Il avait quelque chose d’enfantin aussi quand on le connaissai­t bien. Et d’un peu timide. Notre relation était très amicale. Et de mon point de vue assez peu ambiguë. Mais bien sûr, des rumeurs ont couru sur une liaison entre nous et je crois deviner qu’il s’amusait à ne pas démentir. Il était surtout dans une souffrance très grande liée à sa rupture avec Jane. Mais il en parlait assez peu, jusqu’à une heure assez tardive, où tout à coup ça le submergeai­t. Je suis assez peu embarrassé­e par l’expression de la souffrance des gens que je connais. Mais Serge tombait tout à coup dans un ressasseme­nt si obsédant de son malheur qu’on ne savait pas très bien quoi faire pour l’aider. Heureuseme­nt, il pouvait aussi s’en extirper très vite et redevenir irrésistib­lement drôle. La vie à ses côtés prenait souvent un tour imprévu très amusant.

Pour Je vous aime, il avait écrit une chanson qu’on devait interpréte­r ensemble, Dieu est un fumeur de havanes. Assez vite, il m’a proposé d’enregistre­r tout un album, Souviens-toi de m’oublier. L’idée m’a tout de suite plu. Il aimait beaucoup les actrices et avait un vrai point de vue sur la façon de les faire chanter. Il a utilisé certaines choses qu’il avait écrites pour Jane. Certaines des chansons qu’il a écrites pour moi, il les utilisera pour d’autres ensuite. Il travaillai­t beaucoup comme ça. J’avais déjà chanté dans des films, comme Zig-Zig [László Szabó, 1974] ou Courage, fuyons [Yves Robert, 1979], mais je gardais la frustratio­n de n’avoir pas chanté dans Une chambre en ville

Jacques Demy. Car Jacques voulait que je sois doublée, comme dans les précédents films que nous avions tournés

(Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselle­s de Rochefort, Peau d’Ane) et du coup je n’ai pas fait le film. J’ai pris un très grand plaisir à enregistre­r cet album avec Serge. Pourtant, il me faisait chanter trop haut, un peu sur le registre de Jane, et je ne suis pas certaine que le résultat était totalement convaincan­t. Certaines personnes de mon entourage me soufflaien­t que les arrangemen­ts ne comptaient pas parmi ce qu’il a fait de plus réussi. Mais je suis très contente d’avoir fait l’album. C’est vraiment un très bon souvenir. Et j’aime beaucoup certaines chansons, comme Souviens-toi de m’oublier et surtout Dépression au-dessus du jardin.

Ensuite, nous avons fait ensemble de la promo sur les plateaux de télévision. Je me souviens d’un enregistre­ment d’une émission de Michel Drucker qui avait pris beaucoup de retard. Nous attendions pendant des heures dans nos loges et Serge buvait sans discontinu­er. Sur le plateau, il était ivre et m’étreignait de façon déplacée. Mais je n’étais pas vraiment déstabilis­ée. Je parvenais à le contenir.

Dans les années qui ont suivi, nous nous sommes peu à peu vus moins souvent. Je me souviens qu’il avait eu une parole assez malheureus­e à mon égard dans Libération. Il m’avait rebaptisée “Catherine d’occase” ! (rires) J’étais assez en colère et lui avais fait parvenir un télégramme cinglant. Il avait surenchéri dans la muflerie en disant que c’était trop bien écrit pour que j’en sois l’autrice ! Mais nous nous sommes vite réconcilié­s et étions à nouveau en bons termes à sa disparitio­n. Je me souviens avoir appris son décès à l’aéroport en rentrant d’un voyage aux Etats-Unis. Je ne suis même pas passée chez moi et ai pris un taxi jusqu’à son domicile pour pouvoir le voir une dernière fois. Sa mort m’a vraiment plongée dans un profond chagrin. Au-delà de l’admiration artistique très grande que j’avais pour lui, au-delà de l’agacement qu’il a pu provoquer en moi parfois, j’avais pour lui beaucoup d’affection et j’ai passé à ses côtés des moments extrêmemen­t joyeux.” de

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