Les Inrockuptibles

Les paradis perdus de Paul Williams

Dans leur quête des légendes seventies pour RAM, les Daft Punk firent appel au légendaire Paul Williams pour Touch et Beyond. Retour sur la carrière d’un ange déchu mais toujours vivant.

- Christophe Conte

Pour Daft Punk, Paul Williams est avant tout ce comédien de Phantom of the Paradise (1974) de Brian De Palma, film qui aura servi de matrice à leur univers visuel et dont la BO imprègne la partie la plus baroque de Random Access Memories. Et quitte à façonner des mini-opéras rock selon les règles extravagan­tes du genre ( Touch et Beyond), autant s’adresser à Williams pour les interpréte­r, lui qui reste à jamais l’incarnatio­n maléfique de Swan, le gnome faustien de Death Records et taulier à casque d’or du Paradise. Lorsqu’il endosse ce rôle en 1974, Paul Williams a déjà une bonne dizaine d’années de carrière derrière lui, moins d’ailleurs comme acteur que comme coauteurco­mpositeur de certaines chansons les plus suaves et déchirante­s de la variété américaine, et aussi comme chanteur pop à voix de miel. Après des débuts dans des seconds rôles au cinéma ( The Chase d’Arthur Penn notamment), où son physique étrange lié à un problème de croissance le distingue déjà des canons hollywoodi­ens, Williams commence à faire circuler ses chansons chez les éditeurs de Los Angeles. L’une d’entre elles, Fill Your Heart, coécrite avec Biff Rose, atterrira en 1968 entre les cordes vocales foldingues de Tiny Tim et sera surtout reprise par Bowie sur Hunky Dory trois ans plus tard. Entre-temps, Williams a constitué une des plus charmantes formations de Sunshine pop pour prolonger l’Endless Summer des Beach Boys. Mais l’unique album de The Holy Mackerel, petit chef-d’oeuvre radieux, sera vite escamoté par le label Reprise, souffrant de la concurrenc­e interne de l’Electric Ladyland d’Hendrix et du premier Neil Young. Williams, qui s’active dans tous les sens pour imposer ses chansons, trouve enfin un partenaire idéal en la personne de Roger Nichols, employé aux écritures chez A&M Records. Nichols et Williams sont à la fois dissemblab­les (l’un est un grand brun, l’autre petit et blond) et quasi jumeaux (ils sont nés à deux jours d’écart), et sur le papier à musique, leur alliance fait immédiatem­ent des étincelles. La première chanson qu’ils écrivent à quatre mains, It’s Hard to Say Goodbye, devient un hit pour la Française exilée à L.A. Claudine Longet et inaugure une véritable rivière de diamants dont les plus chanceux bénéficiai­res seront les Carpenters, qui héritent notamment de We’ve Only Just Begun, suivi par Rainy Days and Mondays, ou encore Let Me Be the One. En quelques mois, le jeune binôme peut ainsi rivaliser avec les prestigieu­ses paires déjà dans la place, comme Burt Bacharach et Hal David avec lesquels il partage ce goût des mélodies exquises, des chansons qui tombent comme des robes haute couture et des textes à l’eau de rose qui aurait conservé ses épines. En parallèle aux succès des Carpenters, ils doublent la mise en livrant plusieurs chansons au groupe de country prog Three Dog Night (An Old Fashioned Love Song, The Family of Man) qui les placent assez haut dans les charts US pour achever d’imposer la griffe Nichols/Williams et attirer une clientèle disparate allant des Monkees à Bobby Sherman. Mais les albums solo que Paul Williams pense pouvoir désormais imposer au public, comme les splendides Someday Man (1970) ou Just an Old Fashioned Love Song (1971), s’avèrent des échecs commerciau­x assez redoutable­s, même s’ils reprennent une partie du répertoire popularisé par d’autres. Contrairem­ent à Harry Nilsson et Randy Newman, chanteurs de la même veine mais plus chanceux, Williams ne sera jamais considéré avec le sérieux nécessaire, et ses rôles au cinéma contribuer­ont à brouiller les pistes. Après une collaborat­ion avec Michel Colombier sur son album Wings, sa séparation d’avec Nichols coïncidera avec un assèchemen­t progressif de son inspiratio­n, les chansons un peu trop parodiques composées pour Phantom of the Paradise n’ayant plus tout à fait la même grâce lorsqu’on les écoute hors du contexte baroque du film. A l’instar de Nilsson, sa voix se détériore à la même vitesse que sa délicatess­e d’écriture, lorsque l’absorption d’alcool supplante au milieu des années 1970 toute autre activité. Williams continue certes d’errer de plateaux en studios d’enregistre­ment, mais c’est alors souvent pour ne plus exhiber que son profil de freak, comme lorsqu’il apparaît en 1976 dans un épisode assez embarrassa­nt du Muppet Show, prolongean­t le supplice jusqu’à la version cinéma des délires de Kermit & Co., pour laquelle il écrit d’ailleurs une chanson. Si rien de vraiment notable n’apparaît sur son CV après Phantom of the Paradise, Paul Williams est toutefois resté l’une des figures les plus attachante­s de l’entertainm­ent américain, à défaut d’être considéré comme l’un de ses plus grands enchanteur­s. Le nom du documentai­re qui lui fut consacré en 2011 en dit long sur les enfers dont il était alors revenu : Paul Williams Still Alive. Quelques mois plus tard, son téléphone sonnait, et les Daft Punk, fébriles comme jamais, étaient au bout du fil.

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