Les Inrockuptibles

Zeu freinche toutche

Chanteur lunaire de la pop française expatrié depuis quelques années à Londres, MATHIEU BOOGAERTS devient “Mathiou” sur un huitième album rafraîchis­sant tout en anglais, interprété avec un french accent.

- Franck Vergeade

“J’EN AI MARRE D’ÊTRE DEUX,” PROCLAMAIT DÉJÀ MATHIEU BOOGAERTS sur son deuxième album en 1998. Les deux pieds en France, mais la tête toujours ailleurs (des pays de ses idoles Michael Jackson et Bob Marley au continent africain qu’il a beaucoup arpenté pendant sa vingtaine, après des crochets de vie à Bruxelles ou Berlin), ce chansonnie­r globe-trotteur devient “Mathiou” Boogaerts sur un nouvel abum

En anglais, comme l’indique explicitem­ent le titre de son huitième chapitre musical. Installé dans la capitale anglaise depuis 2016, le jeune quinquagén­aire en avait marre d’être littéralem­ent incompris par son environnem­ent anglophone, comme il le raconte dans un documentai­re drolatique – Mathiou – filmé dans les rues, les parcs et les clubs de Londres, où il s’invite même à chanter chez les quidams :

“Si j’écris des chansons, c’est pour tisser, même inconsciem­ment, un lien. Là-bas, je ressentais une frustratio­n, celle que mes textes en français ne puissent intéresser mes voisins ou les gens que je croise dans la rue.” Déconnecté outre-Manche de son public hexagonal, Mathieu Boogaerts s’est parfois même senti handicapé. “Là-bas, c’est comme si je fabriquais des chaussures alors que les gens n’ont pas de pieds !”, s’esclaffe-t-il.

De cette frustratio­n est née l’envie d’un disque intégralem­ent interprété dans la langue de Joe Strummer – il fait d’ailleurs un clin d’oeil au tube des Clash dans son single Annie, en chantant “I don’t know what else to say/Shall I go or shall I stay”. Considéran­t son répertoire comme le reflet de son intimité (“Le meilleur moyen de me connaître, c’est d’écouter mes morceaux plutôt que de devenir mon ami”), “Mathiou” s’y est paradoxale­ment essayé dans un idiome exotique pour lui.

Pour mieux les incarner, il se fixe deux règles : ne jamais utiliser le dictionnai­re d’anglais pendant l’écriture et faire sonner les mots en studio. Une double difficulté pour celui qui, habituelle­ment, aime faire vibrer les sons et jouer avec les sens cachés. “Le vocabulair­e français est tellement riche en couleurs. Soudain, j’avais l’impression d’être un peintre sans sa palette et ses pinceaux, reconnaît-il. En anglais, il y a plein de mots que je n’arrive pas

à faire résonner sans que ça fasse Phoenix ou Maurice Chevalier ! Il était donc hors de question d’adopter un accent, qui masquerait un manque flagrant de spontanéit­é. Les chansons étant le reflet de mon intérieur, prendre un accent serait mentir ou faire semblant. J’ai donc essayé de chanter naturellem­ent dans une langue qui n’est pas maternelle.”

D’aucuns pourront trouver ce french accent perturbant voire déstabilis­ant, mais ces dix pop songs enchaînées en moins d’une demi-heure passent comme une lettre (anglaise) à la poste (française). S’il avait déjà flirté avec l’anglais dans l’album I Love You

en 2008, Boogaerts s’est astreint cette fois à éviter toute erreur grammatica­le. Aucune trace de franglais, donc. La contrainte participe du parcours artistique de Mathieu Boogaerts, qui trimballe sa poésie lunaire dans la pop française depuis un quart de siècle, sous des airs faussement dilettante­s.

“La dimension ludique fait partie du jeu. On dit d’ailleurs jouer de la musique,

aime-t-il à répéter. J’adorerais entrer en studio pour un temps limité avec un challenge précis. C’est autrement plus stimulant que de disposer d’un temps infini pour enregistre­r, ce qui est le meilleur moyen de se perdre.”

Intégralem­ent joué en binôme avec le brillant multi-instrument­iste Vincent Mougel (déjà entendu et vu avec Juliette Armanet ou Halo Maud), En anglais

a été, comme à l’accoutumée, mixé par Renaud Letang, inamovible fil rouge de la discograph­ie de Mathieu Boogaerts, comme M/M pour le graphisme depuis l’inaugural Super en 1996. “Par malchance, entre guillemets, je suis tombé immédiatem­ent sur les meilleurs, même si Renaud et M/M n’étaient pas aussi courtisés à l’époque. Depuis le temps, nous avons un rapport presque fusionnel.”

A l’heure de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseu­r et de rentrer définitive­ment en France, Mathieu Boogaerts préfère, en bon optimisme, regarder le verre à moitié plein qu’à moitié vide. “A 25 ans, je pensais être aussi populaire que Jean-Jacques Goldman, un chanteur que je ne cite pas par hasard. Car, même si je ne l’écoute jamais, je suis admiratif de ses chansons concises, franches, sincères et populaires au bon sens du terme. Plaire à tout le monde n’est pas donné à tous les artistes. Et je considère que les miennes aussi ont un pouvoir universel, qu’elles pourraient toucher un plus large auditoire. A défaut d’être repris dans les bals des villages, je suis donc resté plutôt confidenti­el. Il y a sûrement une raison que je m’explique, car la popularité me fait peur. En studio, j’ai toujours privilégié un son discret plutôt que criard. Je ne suis pas un punk, au cas où on ne l’aurait pas remarqué…” Dans sa carrière d’une honnêteté manifeste, Mathieu Boogaerts n’a jamais couru après l’air du temps. A l’instar du titre de son précédent album, il reste ce “promeneur” nonchalant et doux rêveur de la pop française.

En anglais (Tôt ou Tard/Believe)

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