AU COMMENCEMENT
Au début des années 1990, une GÉNÉRATION de musicien·nes élevé·es au rock trouve dans
LA TECHNO ET LES CLUBS une aire de jeu plus enthousiasmante. Une révélation pour le duo naissant des Daft Punk, qui en épousera toutes les inflexions sur un premier album détonant, Homework, en 1997.
AU DÉBUT DES ANNÉES 1990, PARIS COMMENÇAIT À SE LAISSER CONQUÉRIR PAR LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE, house et techno confondues, qui avait déjà pris possession de l’Angleterre. Des disques anglais arrivaient en France par petites poignées et disparaissaient aussitôt des bacs des quelques magasins qui les importaient, vite achetés par des fanatiques découvrant là une musique aux atours inédits, aux circonvolutions férocement différentes.
Danceteria, l’un de ces magasins au nom inspiré par celui d’un mythique club de New York, était spécialisé dans les musiques indépendantes. Dans ce petit local exigu, alors situé dans la rue du Cardinal-Lemoine, entre le Panthéon et la place Monge, on trouvait la crème des labels indé anglais, en particulier tous les disques de la scène noisy pop, mais aussi quelques disques de house, comme les premiers enregistrements de 808 State. Là, un public réduit venait s’approvisionner en maxis ou albums introuvables ailleurs. Les futurs Daft Punk, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, s’y rendaient régulièrement. “Vers 1990, 1991, on était dans une sorte de scène noisy, se souviennent-ils. Chez Danceteria, et dans les magasins de ce genre, on achetait pas mal de disques, ceux de Spacemen 3 ou même de Nirvana, dont on avait acheté le premier EP.”
DE DARLIN’ À DAFT PUNK
A cette époque, ils sont encore tous les deux lycéens à Carnot, établissement du XVIIe arrondissement de Paris, et, avec d’autres condisciples, ont monté Darlin’, un premier groupe au nom inspiré du titre d’une chanson des Beach Boys. “Notre groupe n’allait nulle part, commente Thomas Bangalter. On avait donné quelques concerts et on faisait de la musique de manière un peu anecdotique, comme quand on a 16 ou 17 ans et qu’on veut créer un groupe.” Darlin’ glisse quand même deux morceaux dans l’escarcelle alors naissante d’un groupe anglais aux accointances parisiennes, Stereolab. Ces deux titres, Cindy So Loud et Darlin’, figureront courant 1993 sur Shimmies in Super 8, une compilation en forme de double 45t éditée au début de la même année sur Duophonic, le label de Stereolab.
La musique de Darlin’ révèle un groupe en plein bourgeonnement noisy pop : Cindy So Loud est un court morceau chanté, d’une naïveté envoûtante, tandis que Darlin’
ressemble à une tentative de reprise fougueuse et passionnée d’un instrumental des Beach Boys. A sa sortie, Shimmies in Super 8 est chroniqué dans l’hebdomadaire Melody Maker, qui qualifie les morceaux de Darlin’ de “daft punk”, c’est-à-dire de “punk idiot”. Une formule que le duo reprend à son compte.
Daft Punk naît de la fréquentation assidue des soirées house et des raves qui commencent alors à s’installer en France. Dès janvier 1993, Thomas Bangalter avait acheté ses premières machines électroniques. “J’habitais chez mes parents et j’avais eu de l’argent pour mes 18 ans, 7 000 ou 8 000 francs [entre 1000 et 1200 euros] qui m’ont permis d’acheter un synthétiseur Juno-106 et un petit sampleur Akai S01, avec une simple sortie mono. Mon père m’avait par ailleurs donné un Minimoog et on avait récupéré un séquenceur, une console de mixage et un petit compresseur. J’avais branché le tout sur un ghetto-blaster que je possédais depuis mes 11 ans. Tout était installé dans ma chambre, sur une table à tréteaux, et j’avais déménagé mon lit dans la chambre d’amis. En fait, on avait commencé à faire des choses avec ce matériel-là avant même que le disque de Darlin’ ne sorte… Sur nos premiers morceaux, on n’arrivait pas du tout à faire ce qu’on voulait. On essayait de copier quelque chose sans y parvenir. On aimait les disques américains de Chicago et l’on essayait de recréer ça. Finalement, c’est le résultat de ce qu’on n’a pas réussi à faire qui est devenu séduisant. C’est la même chose qui s’est passée en Jamaïque, où les musiciens écoutaient le blues américain sur des radios assourdies, avec des grosses basses, et ils ont refait la même musique avec une vision déformée, qui a fourni quelque chose de spécifique.”
L’acquisition de ces quelques machines de fortune et l’apprentissage de nouvelles méthodes de composition sont symptomatiques du renversement alors opéré par une génération de musiciens élevés au rock, mais trouvant dans la techno une aire de jeu plus opportune et enthousiasmante. “On a souvent dit que le fait d’avoir été dans des concerts mous nous avait motivés pour
faire autre chose, expliquent-ils. Oui, les concerts rock, c’était vraiment mort, il n’y avait que des mecs qui ne bougeaient pas, et on a comparé avec ce qui se passait dans les soirées qui avaient lieu sur le toit de Beaubourg, où c’était la fête. On se rendait aussi compte qu’on pouvait faire des disques indépendants chez soi. Avant, ce n’était pas possible.”
CULTURE CLUB
Au moment même où il fait l’acquisition de ses premières machines, le duo s’intéresse de plus en plus à l’électronique, à la house, à la techno et à l’émergence d’une nouvelle culture des clubs, disposant de quelques temples incontournables, notamment Ibiza. “Le disque de Darlin’ est sorti début 1993, mais nous n’étions déjà plus très motivés. La première rave où nous sommes allés, c’était la rave Armistice à Beaubourg. Bien sûr, on avait entendu pas mal de trucs de house quand on avait 12 ou 13 ans. Mais à cette soirée, on a entendu des choses comme Hardfloor [groupe electro allemand formé en 1991] et, à partir de ce soir-là, on a commencé à sortir tout le temps. De l’hiver 1992 au printemps 1993, il y avait ce genre de soirées toutes les semaines. Puis on est partis en vacances à Ibiza, avec Guy-Manuel et deux autres amis, Cédric et Jess. Nous étions partis tous les quatre dans un camion en tôle – seul Cédric avait son permis de conduire. Nous sommes allés sur la Costa Brava, et nous avons fini par atterrir à Ibiza, dans un camping de merde. Là, nous allions voir jouer
“Les concerts rock, c’était vraiment mort, il n’y avait que des mecs qui ne bougeaient pas, et on a comparé avec ce qui se passait dans les soirées qui avaient lieu sur le toit de Beaubourg, où c’était la fête”
DAFT PUNK
Carl Cox, nous allions au Café del Mar, c’était un premier contact avec cette musique, même si nous avions déjà entendu des trucs comme Positive Education de Slam. En fait, Rough Trade venait d’ouvrir à Paris, dans son premier emplacement rue de Charonne, et là, les disques de house étaient vendus à la cave.”
En rentrant d’Ibiza, vers la fin août 1993, les Daft Punk en herbe apprennent qu’une rave doit avoir lieu à Eurodisney. Finalement, l’événement se tiendra ailleurs. Pour l’occasion, leur ami, le graphiste Serge Nicolas, héberge une partie des musiciens qui doivent jouer à cette rave, dont les gens de Soma, le label écossais fondé par Slam, ce groupe de techno déjà culte dont le morceau Positive Education est un classique de