Les Inrockuptibles

Quelques rendez-vous ponctuels avec le public, entrecoupé­s de longs riens

- TEXTE JD Beauvallet PHOTO Hidiro pour Les Inrockupti­bles

En 2013, avec RANDOM ACCESS MEMORIES, Daft Punk rencontrai­t un succès planétaire. Une aventure sensible et sensuelle portée par les voix de Giorgio Moroder, Pharrell Williams et Julian Casablanca­s qui synthétisa­it toutes leurs influences et aspiration­s.

Aujourd’hui, où est votre home sweet home ?

Thomas Bangalter — A Paris. Notre vie personnell­e et familiale est ici. On passe beaucoup de temps entre Paris et la Californie, où a lieu une grosse partie de notre production, de notre manufactur­e. L’usine à rêves est là-bas : la pyramide, les masques de robots et la majorité du dernier album ont été fabriqués à L.A.

Vos masques ont évolué…

Thomas — Ils avaient été créés il y a treize ans par les vidéastes Alex Courtès et Martin Fougerol et viennent d’être “upgradés” par des studios d’effets spéciaux d’Hollywood : ils sont désormais équipés de ventilateu­rs pour éviter la surchauffe !

Quand vous étiez encore à l’école, pensiez-vous que l’anglais vous servirait à ce point ?

Guy-Manuel de Homem-Christo — Quand on s’est rencontrés, j’avais 12 ans et Thomas, 13. Je venais de découvrir Hendrix, les Doors, le Velvet, et ça m’a motivé pour l’anglais. Je voulais comprendre cette musique et ce que je chantais. En plus, on avait l’un et l’autre le prof le plus sévère que j’aie jamais connu : monsieur Letellier. A l’arrivée, on a tous fini avec un super-niveau.

Vous rêviez à quoi en écoutant le Velvet ou les Doors ?

Guy-Manuel — Plus encore que le rock, notre premier point commun, ça a été le cinéma. On passait notre vie à regarder des films d’horreur. Notre idole, c’était Warhol, ce mélange d’image et de musique…

Thomas — Je rêvais de travailler un jour dans une discipline artistique : monteur, effets spéciaux… Je n’avais pas plus d’ambition, et ça reste le cas

– je n’aspire jamais à quelque chose de plus grand que ce que je suis en train de faire ou de vivre. Notre parcours tout entier a été une succession de surprises, exceptionn­elles et farfelues. Le vrai changement, c’est qu’on a commencé avec beaucoup de modèles – Warhol, Bowie, George Lucas, Kraftwerk, Kubrick – et qu’aujourd’hui on n’en a plus, même si certains de notre génération nous inspirent, comme MGMT, les Strokes ou Animal Collective. Ces gens nous ont tirés vers le haut. Ça m’étonne toujours quand on me dit qu’aujourd’hui nous jouons ce rôle pour d’autres musiciens.

Comment vous êtes-vous bâti ce panthéon de modèles ?

Thomas — C’était avant internet. On passait notre vie dans les cinémas du Quartier latin ou à la bibliothèq­ue de Beaubourg, où on photocopia­it des livres tout l’après-midi.

Guy-Manuel — Personne, à 12 ans, ne faisait ça. Au lycée, j’étais le seul à connaître Hendrix et tous ces trucs psyché. On n’était que trois à écouter Joy Division… Après, j’ai rencontré Thomas puis Laurent Brancowitz [avec qui ils formeront Darlin’, avant que ce dernier ne parte rejoindre Phoenix, lire p. 34], on était donc cinq… On traînait dans des magasins de disques comme New Rose ou Danceteria, on lisait Les Inrocks quand c’était encore un fanzine… J’ai d’ailleurs rencontré ma première meuf sur le site Minitel des Inrocks, 3615 Eliott ! Elle était fan des La’s, moi des Stone Roses

– on était peu nombreux à s’intéresser à ces jeunes groupes anglais. Dès que ma famille a eu le câble, j’ai passé mes journées devant MTV. Puis devant les premiers écrans d’ordinateur­s… On se retrouvait le mercredi après-midi chez Thomas et on regardait des VHS de Cronenberg, Carpenter, De Palma…

Thomas — Mon père était abonné aux journaux américains Billboard et Variety, je les dévorais. Il avait aussi un studio d’enregistre­ment à la maison, mais ça ne m’intéressai­t pas. En 1984, il a acheté le premier Mac, ça a été un grand bouleverse­ment : MacPaint, la souris… Mais le plus important pour moi à cette époque, c’était le magnétosco­pe. Je lui dois tout.

Daft Punk est-il un groupe normal ?

Guy-Manuel — Notre normalité vient du fait que, depuis le début, on ne prend jamais en compte les avis extérieurs. On a créé notre petit monde artisanale­ment, comme des gosses qui jouent. On ne l’a dévoilé que lorsque ça nous plaisait vraiment – et on continue. On s’est toujours concentrés d’abord sur notre plaisir…

Thomas — Pendant longtemps, j’ai cru que notre anonymat était un signe de notre normalité, mais en fait non, puisqu’on le recherche alors que toute la société est en quête de célébrité ! C’est comme si on était sur une autoroute à contresens…

Quel est votre rythme de travail ?

Thomas — En sortant un album tous les sept ans et un live tous les dix ans, on ne peut pas dire qu’on vit dans l’urgence… Le miracle, c’est que malgré cette absence le public continue de nous prêter attention. C’est peut-être la rareté des rencontres entre lui et nous qui produit toute cette excitation. A l’échelle d’internet, plusieurs années sans contact équivalent à des siècles, ce qui fait qu’on

“On traînait dans des magasins de disques comme New Rose ou Danceteria, on lisait Les Inrocks quand c’était encore un fanzine… J’ai d’ailleurs rencontré ma première meuf sur le site Minitel des Inrocks, 3615 Eliott !” GUY-MANUEL DE HOMEM-CHRISTO

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