Les Inrockuptibles

Bell Orchestre

House Music Erased Tapes/Bigwax

- Rémi Boiteux

Improvisé, instrument­al et inspiré, le postrock de l’orchestre canadien nous fait traverser l’Apocalypse dans son salon.

CE N’EST PAS PARCE QUE NOS BOUSSOLES NE SONT PLUS obsessionn­ellement pointées vers Arcade Fire ou le label Constellat­ion que Montréal a cessé d’être l’épicentre des secousses sismiques qui font trembler ce continent plus ou moins perdu qu’on appelle le rock. Cette chose qui ne porte jamais aussi bien son nom que lorsqu’elle est abordée comme une montagne – qu’on veuille la gravir héroïqueme­nt ou y causer des éboulis. Si l’escalade conquérant­e a traditionn­ellement été l’affaire d’Arcade Fire, miner la roche pour y trouver des diamants est plutôt le travail de la team Menuck (Godspeed You! Black Emperor, A Silver Mt. Zion). Mais aussi du discret projet parallèle Bell Orchestre, sextuor créé par deux Arcade Fire (Sarah Neufeld et Richard Reed Parry), qui sort avec House Music de plus d’une décennie de silence.

Taillé dans le bloc d’une seule improvisat­ion, plus concentré mais aussi plus sombre et intense que le déjà remarquabl­e

As Seen through Windows (2009), produit par John McEntire, ce nouvel album s’ouvre avec un singulier sens de l’accueil, qui nous fait entrer dans cette House où semble se jouer un rituel ésotérique de salon, venu de ces temps où on cherchait à photograph­ier les ectoplasme­s, dans ces mêmes demeures où les quatuors de chambre accordaien­t leurs

violons. Assez vite, les esprits frappeurs viennent à notre rencontre, en petits assauts obsédants, et ce sont plusieurs réalités qui se chevauchen­t et crépitent, à la faveur d’un frottement entre la délicatess­e des cordes et le travail de sape des discrètes mais abrasives saturation­s.

C’est parfois le monde- Titanic : l’orchestre continue de jouer sa partition tandis que tombent en pluie les bombes atomiques (comme sur la fin d’All the Time). Ailleurs, on sort des eaux diluvienne­s avec la gloire de Dark Steel avachie sur sa rythmique derviche. Martiaux, les martèlemen­ts évoquent These New Puritans qui, plus encore que GY!BE, sont peut-être les vrais cousins de ce bel orchestre. Le jazz lynchien de Movement se transforme insidieuse­ment en célébratio­n païenne, quand sur l’exceptionn­el Colour Fields c’est Talk Talk qui devient notre seule boussole. La fin de ce trajet dans les sphères agitées nous laisse à bout de souffle : on ne se doutait pas que le postrock instrument­al n’avait, à ce point, pas dit son dernier mot.

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