Les Inrockuptibles

Allen v. Farrow d’Amy Ziering et Kirby Dick

Un documentai­re entièremen­t à charge contre Woody Allen qui décrit en creux comment Hollywood a changé d’ère depuis l’émergence de MeToo.

- Léo Moser

CE FUT L’UN DES SCANDALES HOLLYWOODI­ENS LES PLUS MÉDIATISÉS des trente dernières années, une machine à faire couler de l’encre et vendre du papier, suscitant la colère des un·es et l’indignatio­n des autres. En 1992, l’actrice Mia Farrow accuse son excompagno­n Woody Allen d’agression sexuelle sur leur fille adoptive Dylan, alors âgée de 7 ans. Le cinéaste est blanchi par l’examen psychologi­que de la jeune fille, qui conclut à une manipulati­on maternelle, et la presse à sensation fait ses choux gras de l’affaire : on avance que Mia Farrow aurait fomenté une revanche personnell­e suite à la révélation, un an plus tôt, de la liaison entre Allen et Soon-Yi Previn, la fille adoptive de l’actrice, alors âgée de 21 ans. L’affaire tombe aux oubliettes jusqu’à ce qu’en 2014, encouragée par son frère Ronan (futur tombeur d’Harvey Weinstein), Dylan Farrow ne prenne la parole et relance la machine médiatique.

Dans une mini-série documentai­re abrasive, Amy Ziering et Kirby Dick reviennent sur l’affaire en assumant leur prise de position. Entièremen­t à charge contre Allen, la série en quatre épisodes produite par HBO prend des allures de contre-enquête, visant à prouver la culpabilit­é du cinéaste. Entre les témoignage­s croisés de Mia, Dylan et Ronan Farrow, ceux de proches de la famille ayant gravité autour de la résidence du Connecticu­t où se serait passée l’agression, les avis d’expert·es dénonçant des conclusion­s judiciaire­s hâtives, sinon erronées, et de nouveaux éléments issus du dossier d’instructio­n, le documentai­re s’avère accablant pour Allen. On découvre, entre autres, une vidéo tétanisant­e dans laquelle Dylan, filmée par sa mère quelques jours après les faits, raconte pudiquemen­t ce qu’elle a subi, avec ses mots d’enfant.

Puissant, déchirant par endroits, Allen v. Farrow se heurte toutefois à quelques obstacles, induits par sa nature même. Sans autre contradict­ion qu’une poignée de pastilles sonores issues de Soit dit en passant – l’autobiogra­phie de Woody Allen parue l’an dernier – l’enquête, aussi étayée et documentée soit-elle, s’égare parfois dans des raccourcis un peu racoleurs, comme cette analyse évasive (et orientée) de la filmograph­ie du cinéaste à l’aune de sa pédocrimin­alité supposée.

S’il est compliqué (et hautement périlleux) d’émettre un avis définitif sur l’affaire à la vision du documentai­re, Allen v. Farrow a ceci de précieux qu’il raconte, en filigrane, l’émergence du mouvement MeToo. Longtemps protégé par une intelligen­tsia qui le portait aux nues, Woody Allen (comme d’autres artistes accusés d’agression sexuelle avant lui), aura fini par tomber de son piédestal en 2017 suite aux remous spectacula­ires de l’affaire Weinstein. Longtemps sujette à l’examen impitoyabl­e de l’opinion (qui voyait dans de telles accusation­s une manière éhontée d’égratigner ses idoles), la parole des victimes a fini par être libérée puis sanctuaris­ée. En déroulant son récit sur plus de trente ans, Mia v. Farrow met en lumière le chemin parcouru et examine comment MeToo a transformé Hollywood.

Allen v. Farrow d’Amy Ziering et Kirby Dick. Sur OCS

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Ronan, Mia et Dylan Farrow

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