Les Inrockuptibles

Caïd de Nicolas Lopez et Ange Basterga

Rivé à son efficacité immersive, un thriller en found footage ancré dans une cité sensible du sud de la France passe à côté de ses pistes les plus intrigante­s.

- Alexandre Büyükodaba­s

LES SÉRIES ORIGINALES FRANÇAISES PRODUITES PAR NETFLIX SE SUIVENT mais ne se ressemblen­t pas. Les visions cauchemard­esques de Marianne ont laissé place aux élans nanardesqu­es de La Révolution, quand le blockbuste­r Lupin, énorme carton à l’internatio­nal, trouve dans Caïd une successeur­e à tout autre échelle : celle d’une mini-série en dix épisodes de dix minutes. On discerne cependant, au gré de leur diffusion, une tendance à explorer le “genre”, au sens de catégorie de récit obéissant à des règles narratives et formelles identifiée­s, et avec lesquelles la création française entretiend­rait des rapports contrariés.

Adaptée d’un long métrage autoprodui­t du même nom, Caïd suit un réalisateu­r et son cadreur, envoyés tourner un clip de rap dans une “cité sensible” du sud de la France (on ne sait pas bien où, mais on pense aux quartiers nord de Marseille) et qui se retrouvent mêlés malgré eux à une guerre des gangs. Outre la concision d’un format qui rappelle celui des webséries, la particular­ité du projet est d’être tourné en (faux) found footage, procédé narratif et technique de mise en scène qui consiste à donner l’illusion aux spectateur·trices que les images qu’il·elles reçoivent ont été filmées par les protagonis­tes du récit.

Longtemps associée à des oeuvres militantes ou expériment­ales, cette technique s’est nouée au frisson grand public grâce au succès du Projet Blair Witch, jusqu’à devenir un genre en soi.

Arrimée aux caméras de l’acteur-cinéaste et de son chef op, elle participe ici d’une immersion dans un territoire fictionnel lui aussi codifié, celui de la banlieue sous haute tension. Hormis l’accent marseillai­s des personnage­s, rien de nouveau à l’ombre des barres d’immeubles : petits trafics, règlements de comptes et descente de flics s’inscrivent dans le même imaginaire néowestern qu’un Dheepan.

On se souvient alors de l’usage qu’avait fait Ladj Ly des plans de drone ou de téléphone portable dans Les Misérables,

leur conférant une puissance à même de dialectise­r les violences policières. Dans Caïd, le potentiel politique des “images (re)trouvées” est systématiq­uement évacué (le rappeur refuse par exemple d’utiliser une vidéo ayant capté un contrôle policier abusif) au profit d’une efficacité dramatique tapageuse, quand l’ambiguïté documentai­re qui troublait le long métrage d’origine se dilue dans des effets de manche ostentatoi­res.

La série, dès lors, se binge-watche sans conséquenc­e, désamorçan­t ses pistes les plus intrigante­s (la question de l’image qu’on transmet de la banlieue, ou la fascinatio­n progressiv­e que le réalisateu­r du clip éprouve pour le gangsta rappeur) au premier coup de pression ou de flingue. A l’arrivée, ce found footage

se joue essentiell­ement à balles perdues.

Caïd de Nicolas Lopez et Ange Basterga, avec Abdraman Diakité, Mohamed Boudouh, Sébastien Houbani. Le 10 mars sur Netflix

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Abdraman Diakité

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