Les Inrockuptibles

Jean-BaptisteJe Guillot

“Une trajectoir­e exemplaire”

- Propos recueillis par Franck Vergeade

Depuis D l’inaugural Psycho Tropical Berlin en 2013, le fondateur du label Born Bad Records publie tous les albums de La Femme en vinyle. Fidèle à sa franchise légendaire, il porte un regard tendre et sans concession­s sur le groupe de Marlon Magnée et Sacha Got.

“Depuis 2010, La Femme a une trajectoir­e exemplaire ! Quand je l’ai découvert, le groupe avait sorti son premier EP et remplissai­t déjà La Flèche d’Or devant un public hystérique. Je suis donc arrivé dans l’histoire comme une pièce rapportée, à prendre le train en marche. C’est d’ailleurs ma femme qui avait attiré mon attention sur La Femme. Marlon et Sacha étaient friands des sorties du label, notamment des compilatio­ns WIZZZ! et BIPPP, qui font partie de leur culture musicale : les gauloiseri­es sixties et les Jeunes Gens mödernes. Quand La Femme a signé chez Barclay, j’étais hors course par rapport aux enjeux financiers, mais Marlon et Sacha tenaient absolument à sortir leurs albums en vinyle chez Born Bad Records – ce qui leur permettait ainsi d’obtenir une street credibilit­y tout en étant hébergés dans une major.

Il faut se souvenir qu’en 2013, à la sortie de Psycho Tropical Berlin, mon label était beaucoup plus radical et je me suis exposé à une salve de critiques en éditant le vinyle de La Femme. Les gardiens du temple me sont tombés dessus à bras raccourcis. Le groupe a aussi bien ramassé en commentair­es acerbes. Beaucoup pensaient que leur succès critique et public était disproport­ionné par rapport aux passages télévisés où La Femme s’est parfois lamentable­ment vautré, confortant ainsi l’avis de leurs détracteur­s. Au contraire, j’ai toujours apprécié leur côté branque, que le groupe a fini par cultiver. Dans une conjonctur­e où tous les groupes de jeunes sont dans une phase de profession­nalisation ou de “start-upisation”, c’est presque rassurant de voir le fonctionne­ment interne chaotique de La Femme. De toute façon, je ne pourrai jamais travailler avec un groupe trop profession­nel, trop posé, à la limite du cynisme, comme il y en a plein aujourd’hui. D’un album à l’autre, il y a un tronc commun dans les références de

La Femme, entre le yéyé français et la pop synthétiqu­e. Sans oublier leur culture du cabaret à travers les costumes, le goût du travestiss­ement et le soin apporté à l’esthétisme. Mine de rien, La Femme a posé les jalons pour un paquet de formations qui, sans s’en revendique­r ouvertemen­t, en sont des rejetons : de L’Impératric­e à Therapie Taxi en passant par Voyou. La Femme a ouvert la boîte de Pandore d’une electropop en français qui triomphe partout. Ce qui est intéressan­t dans leur cas, c’est la complément­arité du binôme Marlon/Sacha. Pour bien connaître les morceaux quand ils sont chacun dans leur coin, ils ne sont jamais aussi bons qu’en composant et en écrivant ensemble. Leur écriture est bien moins simpliste qu’elle peut y paraître. Ils arrivent à évoquer avec simplicité des sensations communémen­t partagées, comme dans la chanson Septembre [sur l’album Mystère], en véhiculant la mélancolie de fin d’été et l’appréhensi­on du retour au bahut. Au stade où ils en sont, ils cherchent encore à expériment­er. Il y a encore des ratés au milieu de fulgurance­s. C’est la musique d’outsiders qui me plaît, et même au bout du troisième album, ça reste frais. Toujours aussi inspiré et bien écrit, Paradigmes est le chaînon manquant entre Psycho Tropical Berlin et Mystère. Encore une fois, Marlon et Sacha n’ont pas résisté à sortir un double album de quinze titres ! C’est hallucinan­t de voir à quel point ils sont généreux, fidèles et honnêtes, même vis-à-vis de Born Bad Records.”

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