Les Inrockuptibles

6 X confiné.e.s d’Elias Belkeddar

- Alexandre Büyükodaba­s

Collection de courts récits situés pendant le premier confinemen­t, cette série française en comprime l’imaginaire et l’expérience dans des propositio­ns inégales.

QUE NOUS RESTE-T-IL DU PREMIER CONFINEMEN­T, un an après le choc de son annonce et l’expérience physique et psychologi­que de sa traversée ? Si cette suspension, ou plutôt cette compressio­n de nos existences, continue d’infuser en nous de façon quotidienn­e, eu égard à un contexte sanitaire et social qui n’a guère évolué depuis, ses remous semblent se fondre dans la persistanc­e de la “vie en demi-teinte” qu’elle a initiée, et à laquelle on se résigne bon gré mal gré.

Réceptacle­s privilégié­s de nos angoisses collective­s, les séries s’en sont fait l’écho de façon ponctuelle ( Social Distance de Jenji Kohan, ou la ribambelle d’épisodes “spécial Covid” qui ont essaimé des créations aussi différente­s qu’Euphoria ou

Plan Coeur). Si certaines ont directemen­t intégré la pandémie dans leur architectu­re narrative (comme la dernière saison de

This Is Us), la plupart semblent s’en être chargées de manière inconscien­te ou détournée, jusqu’au retrait du monde réel effectué par l’héroïne de WandaVisio­n.

Tourné pendant le deuxième confinemen­t et diffusé pour “l’anniversai­re” du premier, l’anthologie (ou film à sketches) 6 X confiné.e.s choisit quant à elle d’explorer frontaleme­nt les effets de l’enfermemen­t sur ses personnage­s. Confiés à des personnali­tés issues d’univers divers, ses six épisodes (ou courts métrages) ont été conçus comme autant de huis clos explosifs : saisis entre quatre murs, les caractères se heurtent, les rôles se redistribu­ent et les secrets éclatent au grand jour.

Un DJ en pleine mid-life crisis (Vincent Cassel) tente de rester à la page face au jeune couple qu’il abrite sous son toit ; une Parisienne branchée (Ludivine Sagnier) se découvre un traumatism­e d’enfance refoulé lors d’un séjour chez ses parents ; un infirmier à domicile accepte de devenir le toy boy d’une riche soixantena­ire en mal d’affection... Servis par une distributi­on prestigieu­se et mis en scène avec applicatio­n (cadre Scope, lumière à effets, direction artistique soignée et BO aux petits oignons), ces récits prennent formelleme­nt le contrepied des home movies confinés. Aux images pauvres des conversati­ons Zoom et des capteurs de téléphones portables succède la lisibilité d’une esthétique classique ; au bricolage des journaux filmés, une narration ouvragée. L’imaginaire du confinemen­t a été domestiqué et y a peut-être perdu de sa singularit­é, de son urgence.

Les propositio­ns scénaristi­ques, quant à elles, sont inégales. Si l’on est ému·e par la crise de couple geek qui frotte Tarek (William Lebghil) et Victoire (Laura Felpin) par écrans interposés, dans l’épisode “L’Amour du game” de Pierre Maillard, ou charmé·e par le triangle désirant esquissé par Marina Rollman dans “Gina”, les frictions générées par les cohabitati­ons forcées des autres épisodes nous semblent trop fabriquées, parfois nonchalant­es, souvent cyniques. En faisant du confinemen­t un prétexte à des règlements de comptes somme toute bien classiques, 6 X confiné.e.s surfe sur ses remous sans les sonder réellement. 6 X confiné.e.s d’Elias Belkeddar, réalisatio­n Saïd Belktibia, Antoine de Bary, Pierre Maillard, Alice Moitié, Louis Pénicaut, Marina Rollman et So Me, avec Vincent Cassel, Félix Moati, Ludivine Sagnier, Laura Felpin… Sur Canal+

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Luc Bruyère, Isabelle Tanakil et Alexandre Kominek dans l’épisode “Gina”

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