De l’engagement
Dans un dialogue fécond, Ken Loach et Edouard Louis échangent sur la violence sociale, la gauche et le rôle de l’artiste.
Ken Loach (84 ans, cinéaste, sujet britannique), Edouard Louis (28 ans, écrivain, citoyen français) débattent, et c’est passionnant. Pourquoi ? La chose est posée d’emblée : Loach et Louis sont de gauche. Résolument de gauche, pas d’une gauche molle (la droite les juge sans doute “radicaux”). Ils ne s’en sont jamais cachés et leurs oeuvres respectives en témoignent. C’est l’un des mérites de ces deux courts mais denses dialogues (intitulés “Travail et Violence” et “Politique et Transformation”) : les deux interlocuteurs ne chipotent pas. Le monde est mal fait, comment l’art peut-il participer à son changement ? Que faire ? La discussion part de faits concrets, comme toujours chez Edouard Louis, et d’un parallèle qu’il trace entre deux de leurs oeuvres. Ce que Louis décrit dans Qui a tué mon père et ce que décrit Loach dans Moi, Daniel Blake relèvent du même constat : il est faux de dire que les dominé·es sont exclu·es de la société. Bien au contraire, la société les inclut dans un système pervers qui consiste à vouloir les forcer à travailler alors que c’est le travail qui a détruit leurs corps. La voilà, la vraie violence sociale. En partant de ce constat éclatant, les deux hommes, dans une conversation chaleureuse, toujours attentive à l’autre, pleine de doutes, se demandent comment être un artiste engagé à gauche aujourd’hui peut montrer la violence sociale, et représenter la classe populaire. Que peuvent les artistes de gauche à une époque où le peuple se tourne vers les extrêmes droites populistes comme si elles étaient sa seule planche de salut ? La gauche et ses partis politiques ne devraient-ils pas se repenser s’ils veulent incarner à nouveau une classe “déclassée” (par exemple les Gilets jaunes), qui ne se reconnaît plus du tout en eux ? Avec clarté, humilité, conviction, humanité et réalisme, ils tentent ensemble de dégager des pistes de réflexion, de débroussailler des voies qui seraient dissimulées à notre vue. Pas de leçons assommantes assénées sur un ton péremptoire, pas de grands mots ici, mais des questions fondamentales, simples, dont les deux hommes ne prétendent pas détenir la réponse.
Dialogue sur l’art et la politique de Ken Loach et Edouard Louis (PUF, “Des mots”), 76 p., 8 €